Décédé le 28 février, inhumé le mercredi 3 mars 2021

Lectures : Sg 2,33 et 3,1-6,9 : 1 Co 3,5-17 ; Jn 15,1-10

« Demeurez dans mon amour », vient de nous dire Jésus dans l’évangile. C’est bien cela, la vie éternelle que nous offre Jésus, puisque demeurer dans son amour, c’est demeurer dans l’amour de son Père qui est fondamentalement le nôtre, puisqu’il  est notre Créateur et qui, par définition, est amour comme nous l’a dit saint Jean. Déjà le livre de la Sagesse nous l’a rappelé au début de la première lecture : «Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité». Le Juste de la Première Alliance définit déjà ce que dans la Deuxième Alliance saint Paul appelle le Saint : celui qui vit de l’amour du Christ, qui est l’amour du Père. Il définit déjà ce qu’est vivre de l’Esprit Saint, nous dira particulièrement saint Jean : « Nous demeurons en Dieu et Dieu en nous, grâce à l’Esprit dont Dieu nous  fait le don ». Telle est la vocation du disciple de Jésus.

D’une autre manière, la parabole de la vigne redit la même chose. Le disciple du Christ Jésus est celui qui demeure sur le cep, et donc qui reçoit la vie et l’être de Jésus. C’est la condition pour porter du fruit, celui du Royaume. Cette parabole nous rappelle aussi que, si devenir disciple de Jésus nous est connaturel car nous avons été créés à l’image de Dieu, à l’image de l’Image qu’est Jésus-Christ, disent les Pères de l’Église, c’est à cause de cette origine que le Père-Créateur nous attire vers le Christ-Jésus, et donc nous sommes en quelque sorte sur le cep. Mais pour produire les fruits du Royaume, le sarment a absolument besoin d’être émondé. C’est toute la démarche de conversion à laquelle chacun est appelé. Ce que je retiens aussi, c’est que le sarment a besoin d’être émondé, jusqu’à la fin de sa vie sur terre.

Comme chacun de nous, père Joseph n’a pas cessé d’être affronté à cette purification. Et au terme de sa vie, nous ne pouvons que rendre grâce pour cette œuvre de grâce accomplie en lui. J’ai été très frappé, à la fin de sa vie où je l’ai connu, par sa très grande profondeur spirituelle liée à un tempérament très actif, combatif, intuitif, et aussi intrusif, dont il souffrait lorsqu’il se rendait compte qu’il allait trop loin. Il avait un très grand don d’écoute pour ceux qui se confiaient à lui, et ils étaient très nombreux. On appréciait sa bonté, son accueil chaleureux et sa bienveillance. Nombreux ont été ceux qui ont rendu grâce de l’avoir rencontré sur leur chemin pour les aider à approfondir leur vie spirituelle. C’était un homme de prière. Il nous redisait sans cesse que notre première vocation monastique, c’est la prière. En dehors de cela, rien ne pourra se faire pour l’avenir. Bien sûr, cette disposition à la prière est un acquis de l’Esprit Saint, un fruit de sa conversion qui a été de mettre absolument le Seigneur au centre de sa vie. Il a rencontré le Christ, il a donné sa vie au Christ.

Il ne m’a pas fait confidence de son chemin intérieur, mais il est évident que sa vocation chez les Pères Blancs à 23 ans, auxquels il est toujours resté très attaché, rejoignait son tempérament généreux mis  au service de l’annonce l’Évangile bien au-delà des frontières, s’inscrivant ainsi dans la lignée prestigieuse des missionnaires qui ont évangélisé l’Afrique et l’Asie. Ses deux lieux principaux de mission ont été en Guinée, d’où il a été expulsé, sans doute à cause d’un zèle social qui n’a pas plu aux autorités ; et au Mali où, avec quelques confrères, il a suscité dans les années 1970 une nouvelle communauté chrétienne à partir de rien, et donc avec la même passion qui animait les missionnaires du 19e siècle. Il semble que c’était au cours de ces années de mission au Mali, devant l’horreur des rites animistes qui sacrifiaient des enfants, que père Joseph a eu l’intuition de la place essentielle de la prière, et donc aussi du rôle important de la vie monastique comme mission de salut.

Comme tout missionnaire, il avait l’Afrique dans le cœur, ou plutôt dans les pores de la peau. Sa grande dernière joie a été de permettre à frère Félix, moine bénédictin de Koubry au Burkina Faso, de venir passer un an parmi nous. C’était aussi une grâce pour nous tous de l’accueillir. Ce fut au dernier jour de présence de frère Félix à Notre Dame du  Port du Salut que père Joseph nous a quittés. Est-ce pour signifier que sa mission en Afrique est achevée ? Cette coïncidence peut nous interpeller.

Après 37 ans chez les Pères Blancs, il entra à Notre Dame du Port du Salut. Il est difficile en quelques mots de dire ce que la communauté du Port du Salut lui doit. La première chose évidente est qu’elle lui doit d’être toujours vivante et debout. Il l’a vraiment soutenue. Il a aussi suscité autour de l’abbaye un bénévolat efficace pour nous aider, tout particulièrement pour les parties extérieures des bâtiments de l’abbaye.  Il n’a cessé d’exercer un accompagnement spirituel, et d’être disponible pour célébrer le sacrement de réconciliation avec  ceux qui le désiraient. Il animait le petit groupe de laïcs qui souhaitaient approfondir la spiritualité cistercienne, et surtout il animait régulièrement, et jusqu’à la fin, un groupe de « Lectio Divina ».

Il nous arrivait régulièrement de parler de spiritualité. Cela était d’autant plus agréable que nous nous rejoignions profondément. Il revenait sans cesse sur la prière comme le lieu de l’expérience de la rencontre du Seigneur. Notre passage à la Grande Chartreuse en 2017 dans le cadre d’une réunion d’abbés bénédictins et cisterciens, a eu un impact très fort sur lui. C’est à partir de là que nous avons commencé à ralentir le chant au moment des doxologies. A l’hôpital, quelques jours avant de mourir, père Joseph m’a demandé le livre qui le passionnait à ce moment : « La théologie mystique de Guillaume de Saint-Thierry », cistercien du 12e siècle, un des grands auteurs de la vie mystique dans l’Église. Père Joseph, surtout à la fin de sa vie, au fond du cœur, était un vrai mystique qui trouvait sa joie et sa force de vie dans ce cœur à cœur avec le Seigneur, où la prière devait être un face-à-face d’amour de plus en plus silencieux, se préparant à être accueilli dans les bras du Père, dans le Cœur de Jésus Christ en qui il avait mis toute sa foi, sa confiance, son espérance. Mission et contemplation en une seule vie.

Rendons grâce pour cette vie transformée par la grâce, transfigurée par la grâce. Il est décédé le jour où la liturgie nous faisait méditer la transfiguration comme vocation à laquelle nous sommes appelés. La grâce ne supprime pas nos limites humaines, mais les sanctifie par ce don qui ne trompe pas, et que père Joseph avait reçu, je crois : celui de l’humilité, qui le ramenait sans cesse à cette disponibilité de cœur à la grâce, et à lâcher prise.

Oui, rendons grâce pour le témoignage que Père Joseph nous laisse d’avoir voulu n’avoir rien de plus cher que le Christ, comme dit saint Benoît, et de s’être laissé travailler dans son humanité pour accueillir, dans sa pauvreté dont il avait bien conscience, la Vie que le Seigneur lui a préparée.