
Saint BERNARD
TOURNEZ-VOUS VERS MOI DE TOUT VOTRE CŒUR
« Tournez-vous vers moi de tout votre cœur, dans la peine, les larmes et les gémissements ; déchirez votre cœur et non vos vêtements, dit le Seigneur Tout-Puissant. » Que veut dire, bien-aimés, cet ordre du Seigneur de se tourner vers lui ? Car il est partout, il remplit tout, il embrasse tout. Où me tournerais-je, pour me tourner vers Toi, Seigneur mon Dieu ? « Si je monte au ciel, tu y es, si je descends aux enfers, tu es là. » Qu’ordonnes-tu ? Où me tournerais-je vers Toi ? En haut ou en bas ? À droite ou à gauche ? C’est un conseil, frères, c’est un secret qui n’est confié qu’aux seuls amis. C’est le mystère du Royaume de Dieu. Il est révélé aux Apôtres, à l’oreille, car aux foules, il n’est dit qu’en paraboles : « Si vous ne vous retournez pas, et ne devenez comme ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ». Cette fois, je reconnais pleinement où il veut que nous nous tournions. Il nous faut nous tourner vers ce Petit, pour apprendre de lui qu’il « est doux et humble de cœur ». Car c’est pour cela que ce petit enfant nous a été donné. Assurément, le même enfant est grand aussi, mais dans la cité du Seigneur, lui dont il est dit : « Exulte et loue, habitation de Sion, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël. »
Pourquoi t’enfles-tu, ô homme, pourquoi t’élèves-tu sans motif ? Pourquoi goûtes-tu ce qui est élevé et pourquoi tes yeux regardent-ils toute hauteur qui ne tourne pas à ton bien ? Certes le Seigneur est élevé, mais ce n’est pas ainsi qu’il t’est proposé : sa grandeur est louable, mais non pas imitable. Sa magnificence est élevée, et tu ne peux l’atteindre ; tu ne la saisis que si tu t’anéantis. « Que l’homme, est-il dit, parvienne à la profondeur de son cœur, et Dieu sera exalté. » Car Dieu est le Très-Haut, mais « il regarde ce qui est bas et connaît de loin ce qui est haut. » Humilie-toi, et tu le saisis.
Mais voyons à présent de quelle manière il faut se tourner vers ce Petit, vers ce Maître de douceur et d’humilité. « Tournez-vous vers moi, est-il dit, de tout votre cœur. » Frères, s’il avait dit : « Tournez-vous », sans rien ajouter, nous aurions peut-être pu lui répondre : « Voilà, c’est fait, maintenant propose-nous autre chose ». Mais ici, à mon sens, il nous invite à une conversion continuelle qui ne se fait pas en un jour. Si seulement elle pouvait être achevée au cours de toute la vie que nous passons en ce corps !
Fais donc bien attention à ce que tu aimes, à ce que tu crains, à ce dont tu te réjouis ou t’attristes, et tu trouveras sous l’habit religieux, une âme vivant dans le siècle, sous les langes de la conversion, un cœur pervers. Car tout ton cœur est dans ces quatre affections, et d’elles tu dois recevoir, je pense, ce qu’il faut pour te tourner de tout ton cœur vers le Seigneur. Que se tourne d’abord ton amour pour ne rien aimer si ce n’est Lui-même, ou du moins pour Lui-même. Tourne aussi vers Lui ta crainte, car elle est perverse toute crainte qui craint quelque autre chose que Lui ou ne craint pas pour Lui. De même, que se tournent aussi vers Lui ta joie et ta tristesse. Il en sera ainsi si tu ne t’affliges ou te réjouis que de ce qui est selon ses vues. Car quoi de plus pervers que de te réjouir lorsque tu fais le mal et d’exulter à propos des pires actions. De plus, cette tristesse selon la chair fait œuvre de mort. Si tu t’affliges pour ton péché ou celui de ton prochain, tu fais bien et cette tristesse-là conduit au salut. Si tu te réjouis pour les dons de la grâce, c’est une joie sainte : une joie sûre, dans l’Esprit Saint.