• Sophonie 3,14-18a

Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël !
Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem !
Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis.
Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi.
Tu n’as plus à craindre le malheur.
Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion !
Ne laisse pas tes mains défaillir !
Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut.
Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. »
J’ai écarté de toi le malheur, pour que tu ne subisses plus l’humiliation.
Me voici à l’œuvre contre tous tes oppresseurs.
En ce temps-là je sauverai la brebis boiteuse, je rassemblerai celles qui sont égarées, et je leur donnerai louange et renom dans tous les pays où elles ont connu la honte.
En ce temps-là je vous ramènerai, en ce temps-là je vous rassemblerai ; alors je vous donnerai louange et renom parmi tous les peuples de la terre, quand je ramènerai vos captifs, et vous le verrez, dit le Seigneur.

 

Le prophète Sophonie sur une icône russe du 18e siècle
Sophonie (צְפַנְיָה en hébreu) est le neuvième des douze petits prophètes de la Bible ; il vécut pendant le règne de Josias, roi de Juda, et fut un contemporain du prophète Jérémie au 7e siècle av. J.-C. Il est l’auteur du Livre de Sophonie, qui fait partie du Tanakh ou Ancien Testament. (Wikipédia)

A propos de cette lecture.

Le livre de Sophonie : dans une Bible qui fait 3095 pages (TOB), le livre de Sophonie occupe 9 pages dont 3 pages d’introduction. Voilà un livre qui ne pèse pas lourd. Et pourtant !
Sophonie (dont le nom signifie «Dieu cache » au sens de «Dieu protège ») est le premier du Testament hébraïque qui, tout en parlant de la pauvreté au sens matériel du terme, du dénuement, de la privation et de l’injustice subie, lui donne aussi le sens spirituel d’humilité et d’accueil à Dieu.
Nous savons peu de choses au sujet de Sophonie sinon qu’il serait de lignée royale. Son témoignage prophétique se situe avant l’Exil sous règne de Josias, avant la grande réforme religieuse de l’an 622. Le livre date sans doute de l’époque du roi Ozias, vers la seconde moitié du 7e siècle.
La situation politique et religieuse de l’époque est bien connue. Le royaume du Nord, Israël et sa capitale, Samarie sont maintenant aux mains des Assyriens avec son cortège de destructions, de déportations de population. Situation politique : Au 7e s. av. J.C, dans le royaume de Juda, au sud de la Palestine, le jeune roi Josias à l’age de 8 ans est monté sur le trône à la suite de l’assassinat de son père.
La Judée est prise en tenaille entre l’Assyrie puissante et l’Egypte : aussi tout un courant d’opinion est prêt à collaborer avec les Assyriens qui occupent le royaume d’Israël, au nord. A Jérusalem, dans les sphères du pouvoir, les luttes d’influence vont bon train et Sophonie essaie de mettre Dieu à la bonne place dans la tête de ceux qui veulent conduire la politique du pays.
Sophonie proteste et lance un vibrant appel à chercher les véritables sécurités qui ne sont pas celles qui sont en train de se mettre en place.
Pour Sophonie, le risque est si on ne reste pas attentif, de se laisser séduire par les dieux des Assyriens et leur culte. L’originalité religieuse du royaume de Juda est menacée s’il perd son indépendance politique.
Jérusalem n’est pas à l’abri d’autant que, si la puissance de l’empire assyrien semble s’éroder, un nouveau grand géant économique et militaire se profile à l’horizon en la personne de la royauté babylonienne. Et ce n’est guère plus rassurant.
Véritable prophète, il s’insurge contre les situations intolérables de son temps : apostasie, magouilles des fonctionnaires, avarice des marchands, incroyance des orgueilleux.
Tant d’injustice ne peut durer. Dieu, ne peut la tolérer. Aussi, le prophète annonce «le Jour de YHWH », le jour de la colère de Dieu ( qui nous a valu le Dies irae de la liturgie des défunts) et proclame haut et fort que l’appartenance au peuple de Dieu n’autorise pas à se croire immunisé contre le châtiment divin. « Dans ce livre qui annonce un jour de détresse comme jamais l’humanité ne l’a connu, au jour du jugement, le prophète célèbre la promesse finale, humble mais puissante du salut de Dieu. Et s’en suit une explosion de joie : crie, exulte, réjouis-toi… Jérusalem la belle ! En ce temps-là je serai au milieu de toi, dis le Seigneur » J.Paul
La conversion reste possible. Les deux versets qui précèdent la lecture de ce dimanche nous révèlent bien l’idéal de Sophonie : « Je maintiendrai, au milieu de toi, un reste de gens humbles et pauvres ; ils chercheront refuge dans le nom du SEIGNEUR. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité ; ils ne diront plus de mensonges, on ne surprendra plus dans leur bouche de langage trompeur : mais ils pourront paître et se reposeront sans personne pour les faire trembler ».
Retour en grâce de la Fille de Sion.
En écoutant la lecture de ce jour, il semble que cet idéal est déjà réalisé :
Cri de joie, invitation à se réjouir de Dieu comme dimanche dernier en Baruch : Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours, 2 enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu, mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’Éternel. Voilà à quoi nous invite Dieu ce dimanche alors que nous avons quantité de motifs de ne pas être à la joie.
C’est vraiment à une conversion que Dieu nous appelle, conversion du regard non plus centré sur nous mais sur Dieu en étant à son écoute tant de sa Parole que des événements.
« Réjouis-toi, Sion . La joie à laquelle le prophète invite le peuple est singulièrement exubérante, », il ne s’agit pas seulement d’une joie intérieure ou spirituelle mais de la joie du pardon et de l’amour qui efface toute peur ; c’est la joie de la présence même de Dieu. Cette présence de Dieu est soulignée par deux fois : « le Seigneur est en toi » au v 11 et « ton Dieu est en toi » v 17. Pas une joie superficielle mais une joie qui saisit l’être humain tout entier : le cœur exulte et chante, les mains ne défaillent pas, le corps est entraîné dans une danse, car le Seigneur a repoussé tous les ennemis ; le « Seigneur est en toi. »
Poème étonnant tant l’invitation à la joie est forte et renouvelée jusqu’à ce que Dieu lui même s’ invite à la danse de joie : « il dansera pour toi ».
Pourquoi une telle joie ? Le psaume commence par une quadruple invitation à se réjouir de toutes manières ( quatre verbes à l’impératif) jusqu’à ce que Dieu lui même prenne part à la joie. Il ne s’agit pas d’une joie superficielle et passagère, car elle se situe dans une vision d’avenir. L’auteur entrevoit le peuple, la fille de Sion, purifié par l’amour. On connaît les reproches que le Seigneur a l’habitude de faire à son peuple, ce n’est pas en vue de l’écraser mais tout simplement en vue de le renouveler. « Il te renouvellera par son amour » exprime tout simplement que Dieu n’est pas rivé sur le passé mais il repart toujours à zéro. « Il te renouvellera. » Dieu fait du neuf avec l’ancien. C’est tout le sens du pardon révélé par Christ en vue de rendre l’Alliance possible et éternelle. C’est la condition pour que l’amour soit possible et puisse durer malgré les infidélités.
« J’aime que Dieu malgré tout ce qui se passe, par notre faute et sans notre faute, garde espoir et dans de joie. Si lui, perdait espoir, il n’y aurait plus d’espoir…mais que Dieu ose danser de joie, que Dieu ose se réjouir, quand il sait mieux que nous comment tout se passe, et quelles sont nos limites, alors il y a espoir que quelque chose change pour moi, pour toi. » Parole et Vie

Bien sûr, la joie est facile quand tout va bien. Mais il suffit, comme le disait un médecin qui avait une vie spirituelle peu banale : « il suffit d’une crise d’arthrite au genou pour que la vie spirituelle en prenne un coup. » La joie, même si elle s’exprime, trouve son origine bien ailleurs : il nous est suggéré dans ce texte que c’est en Dieu seul qu’elle a sa véritable source.

Sophonie crie la joie de Dieu à un peuple humilié pour qui le bonheur ne va pas de soi. Il invite à pousser des cris d’allégresse parce qu’au sein de son humiliation et de son infidélité, il demeure la joie de Dieu. Dieu de tendresse et de miséricorde se sent à l’aise, se sent chez lui. Avec celles et ceux qui connaissent la pauvreté, l’humiliation, Dieu veut entrer dans la danse. Il s’agit d’oser croire à la joie de Dieu ! Si au creux de tout ce qui nous fait souffrir, nous pouvions un instant en prendre conscience et lui dire notre joie d’être sa joie ! Le dernier mot n’est pas à l’oppression mais à un Dieu qui se veut proche à la manière d’une de force tranquille ; un Dieu qui nous aime et désire mettre notre vie au large. Nous ne sommes pas appelés à une vie de peur et d’angoisse mais à une vie d’espérance inlassable, où germe la joie messianique promise à celles et ceux qui ont persévéré en dépit des épreuves. Elle est enthousiaste, au sens étymologique du terme, elle prend sa source dans joie même de Dieu. Dieu ose danser de joie et se réjouir, alors qu’il sait mieux ce qui nous accable et quelles sont nos limites.
L’Avent nous apprend ainsi que ce qui est premier, ce n’est pas notre attente du Seigneur, mais la sienne. L’Avent, ce n’est pas d’abord l’homme qui espère Dieu, c’est Dieu qui espère l’homme. Lui seul espère contre toute espérance. Et parce qu’il espère contre toute espérance, il danse devant nous et pour nous, il nous invite à entrer dans sa danse et son émerveillement. Nous n’avons peut-être pas le cœur à la fête. En fin de compte, ce n’est pas le plus important, L’important, qui est profondément bouleversant et scandaleux pour les gens sérieux que nous sommes, c’est d’accepter que Dieu, lui, soit à la joie, que Dieu lui-même mène la danse en notre honneur…et nous invite à y entrer.

Dom Joseph Deschamps