Isaïe 53

10  Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur.
S’il remet sa vie en sacrifice de réparation,
il verra une descendance, il prolongera ses jours :
par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
11  Par suite de ses tourments, il verra la lumière,
la connaissance le comblera.
Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes,
il se chargera de leurs fautes.
12  C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part,
avec les puissants il partagera le butin,
car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort,
et il a été compté avec les pécheurs,
alors qu’il portait le péché des multitudes
et qu’il intercédait pour les pécheurs.

A propos de cette lecture :

 

Une péricope extrêmement courte : trois versets qui font partie d’une véritable cantate, «  le Cantique du Serviteur souffrant de Yahvé ». Elle donne tantôt la parole au prophète(v10) le Serviteur innocent et tantôt la parole à Dieu (v11).

Ce passage fait partie du quatrième et dernier Poème en l’honneur du Serviteur de Yahvé (52,13 à 53,12), « le plus célèbre ,le plus pathétique, le plus obscur , le plus souvent cité par le Nouveau Testament, qui en a fait l’application au Messie souffrant » Osty ,

« Le thème du serviteur souffrant introduit en 50,6 (3e chant) va s’amplifier et s’approfondir : les humiliations que Dieu lui inflige y compris la mort, seront un sacrifice de réparation offert pour « notre faute à nous tous » , à la suite de quoi le serviteur verra la lumière, une descendance ; prolongera ses jours… » Osty

 

Ces versets (10-12) font partie de la grande prophétie du serviteur du Seigneur qui souffre pour d’autres et à leur «profit » et Bonnard écrit « nulle part auparavant on n’avait vu un ami de Dieu souffrir à ce point du fait des étrangers, supporter leurs péchés avec autant de patience, vaincre leurs péchés avec tant d’innocence, diffuser la sainteté dans le monde  avec une audience aussi universelle ».

Il n’est donc pas étonnant que les chrétiens y aient vu la plus importante annonce de la passion du Christ, de sa souffrance offerte pour d’autres. Ce n’est pas la première fois que cette réalité est soulignée dans le Premier Testament.

Abraham intercède pour Sodome, Moïse passe, seul en prêtre, une quarantaine de jours devant la face de Dieu pour le peuple pécheur. La médiation du Seigneur, Serviteur, dépasse celle de Moïse, son épreuve et sa souffrance, incomprise de tous, est acceptée au profit du peuple.

Mais il reste la question : pourquoi fallait-il que le Messie passe par ce chemin ? même si l’idée de résurrection est fortement soulignée… N’empêche que ce texte heurte encore aujourd’hui notre sensibilité religieuse. Qui est ce Dieu qui trouverait son plaisir à voir souffrir ? Dieu voudrait-il que l’on passe coûte que coûte par la souffrance avant de pardonner ?

Au temps de la rédaction d’Isaïe le sacrifice expiatoire était déjà connu et pratiqué. Dans ces versets, il semble que le poète veuille  parler du Messie sans  penser pour autant à Jésus.

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v 10 : « Yahvé  a voulu l’écraser » La traduction liturgique écrit «  le Serviteur a plu au Seigneur » se comprend mieux puisque le Serviteur a fait un sacrifice de réparation. « Il a plu » c’est que Dieu ne peut se complaire dans les souffrances extrêmes du Serviteur mais «  se met » du côté du Serviteur souffrant ?

Plus que jamais il est avec lui dans son offrande, souffre avec lui ,  lui qui « fait de sa vie un sacrifice de réparation »… »  Comment comprendre ce sacrifice de réparation ?

Osty le comprend comme « le sacrifice par lequel on expiait une faute, réparait un dommage, il s’agit ici d’un sacrifice d’expiation  de sa vie, ou de lui-même »  en vue de la restauration d’Israël.

Dieu est prêt à tout pour le salut du monde. Il est prêt à accepter de courir les risques qui en découlent. Dieu aime tellement le monde qu’il est prêt à en pâtir.

Ceci n’explique pas la souffrance, mais dit quel sens donner à ce qui paraît inévitable dans toute existence humaine. Être disciple du Serviteur souffrant, ce n’est pas chercher la souffrance, mais trouver dans la croix de Jésus un sens quand elle survient.

La souffrance n’a  jamais de sens sinon celui que chacun(e) peut vivre quand, à la suite de Jésus, il (elle) en fait le chemin d’une vie toute donnée aux autres.

Par le don de sa vie , le Serviteur  verra le Peuple non seulement renouvelé , restauré mais il verra une descendance,  aboutissement du projet de son Seigneur, accomplissement de sa volonté. L’Église a vu dans cet oracle son accomplissement en Jésus.

 

V11 : «  par suite de ses tourments » , à cause des : souffrances du Serviteur qui s’est voulu solidaire, elles ne seront pas inutiles mais à  cause de celles-ci il verra la lumière .

On pourrait déjà y voir une allusion à la résurrection . En tout cas il « sera rassasié » par sa connaissance. Monloubou écrit dans l’Évangile de Marc : «  ce qui devait être une fin, la mort du Serviteur, est un commencement, une nouvelle vie, pour le peuple enfin libéré de l’exil parce qu’il est remis devant Dieu dans l’état de justice

 

Les versets 11 et 12 sont la réponse de Dieu à son Serviteur : « par suite de ses tourments, il verra la lumière…je lui donnerai sa part » : Dieu agrée l’offrande de son Serviteur et  en réponse il lui donne la Lumière, une participation à sa Vie.

C’est la victoire du juste. Dieu répond à sa solidarité avec les humains dont il a pris la part de leurs péchés : «  il est digne l’Agneau immolé de recevoir puissance, sagesse et force, honneur gloire et louange ». Apoc 5,12. Le sacrifice du Christ n’a plus rien à voir avec les sacrifices rituels expiatoires.

C’est maintenant au prix de son sang, du don de soi, de sa propre vie que «  le juste atteste la victoire de l’amour ».

L’Église a vu, dans cet oracle du serviteur souffrant, l’annonce de Jésus s’offrant au Père. Ce mystérieux serviteur annonce le Christ, l’Agneau muet, conduit à l’abattoir : lui qui, dans sa passion, remet sa vie dans les mains du Père et fait d’elle le sacrifice unique et définitif d’expiation pour les fautes.

L’Apocalypse donne un sens plénier et une lumière étonnante à ce passage, lorsque s’adressant au Christ il dit : «  tu fus immolé, rachetant pour Dieu au prix de ton sang, des hommes de toute tribu, langue peuple et nation. Tu as fait de nous, pour notre Dieu, un royaume et des prêtres, et nous régnerons sur la terre ». Apoc 5, 9b-10.

 

La liturgie du Vendredi Saint nous propose la méditation entière de cet oracle.

Dans ces versets, il semble que le poète veuille parler, entre autres, du Messie, Serviteur de Dieu,  sans  penser pour autant à Jésus. C’est l’évangile de Marc qui nous donne la clé de lecture de ce passage ainsi que son sens. Jésus sera le Serviteur humilié, meurtri, l’esclave, le Fils de l’homme, annoncé par Daniel, venu «  pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

N’empêche que ce texte heurte aujourd’hui notre sensibilité religieuse. Qui est ce Dieu qui trouverait son plaisir à voir souffrir ? Dieu voudrait-il que l’on passe coûte que coûte par la souffrance avant de pardonner ?

Cette théorie expiatoire est fausse et ne contient-elle pas des relents sadiques étrangers au texte prophétique. X. Léon-Dufour écrit à ce sujet : «  il s’agit ici non de substitution mais de solidarité. Il s’agit non de prendre la place du  peuple pécheur, mais de participer à son destin et par là d’obtenir son pardon »..