Hâtons nous vers ceux qui nous attendent

Saint Bernard (1090 1153) se fit moine de Cîteaux et, trois ans plus tard, devint le premier abbé de Clairvaux. Les dons de la nature et de la grâce ont doté ce lettré, ce théologien et ce mystique d’un charme tout particulier. Son œuvre demeure aujourd’hui encore d’une grande portée spirituelle. Ses sermons tout imprégnés de la pensée biblique, saturés de réminiscences scripturaires, comme dans le texte qui suit, sont pour qui peut les aborder une approche savoureuse de la Parole de Dieu, une sorte d’amorce au dialogue avec le Seigneur.

C’est aujourd’hui pour nous un jour de fête, et cette solennité compte parmi les plus grandes. Mais de qui pouvons nous dire que c’est la fête ? De quel apôtre ? de quel martyr ? de quel saint ?
D’aucun en particulier et de tous à la fois. Chacun de nous le sait, en effet : la fête que nous célébrons aujourd’hui est appelée la fête de tous les saints et elle l’est vraiment ; de tous les saints, dis je, ceux du ciel et ceux de la terre Il y a la sainteté de ceux qui sont venus de la grande détresse et qui ont blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau (Apoc. 7,14) ; après de nombreux combats, ils triomphent maintenant, couronnés dans le ciel, pour avoir lutté vaillamment. Y a t il une autre sorte de saints ? Oui, mais elle est cachée.

Il y a en effet des saints qui militent encore et combattent ; ils courent encore sans avoir atteint le but. Il se peut que je paraisse téméraire en les appelant des saints. Cependant je sais que l’un d’eux n’a pas craint de dire à Dieu : Garde mon âme parce que je suis saint (Ps. 85,2). De même l’Apôtre, confident des secrets divins, dit plus clairement : Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qui, selon son décret, sont appelés saints (Rom. 8,28 ; Vulg.).

Le mot « saint > recouvre donc diverses significations : il désigne tantôt ceux dont la sainteté est consommée, tantôt ceux qui ne sont encore saints que selon la seule prédestination. Cette dernière sainteté est cachée en Dieu ; elle est secrète et se célèbre en quelque sorte dans le secret. L’homme, en effet, ne sait s’il est digne d’amour ou de haine (Eccl. 9,1), mais tout est incertain et réservé pour l’avenir.

Que la célébration de ces saints là se fasse donc dans le cœur de Dieu, car le Seigneur connaît les siens et il sait ceux qu’il a choisis dès le commencement. Qu’elle se fasse également parmi les esprits qui sont au service de Dieu et qu’il envoie pour aider ceux qui doivent recueillir l’héritage du salut. Pour nous, il nous est défendu de louer un homme pendant sa vie (cf. Eccli. 11,30)…

Louez plutôt la vertu de ceux dont la victoire est désormais certaine. Exaltez par des chants ceux dont vous pouvez célébrer avec confiance et joie les couronnes… Le souvenir de chacun d’eux, comme autant d’étincelles sinon des torches ardentes, enflamment de dévotion les cœurs et leur donne soif de les voir et de les embrasser…

L’Église des premiers-nés nous attend, et nous la négligerions ; les saints nous désirent, et nous n’en tiendrions pas compte ; les justes nous espèrent, et nous nous déroberions ! Réveillons nous, mes frères : ressuscitons avec le Christ ; cherchons les biens d’en haut et savourons les. Désirons ceux qui nous désirent ; hâtons nous vers ceux qui nous attendent ; accourons au-devant d’eux par les vœux de nos cœurs. En nos relations terrestres, il n’y a aucune sécurité, aucune perfection, aucun repos.

Et pourtant, même ici-bas, qu’il est bon, qu’il est agréable d’habiter ensemble comme des frères (Ps. 132,1) ! Toutes les contrariétés qui surviennent de l’intérieur ou de l’extérieur sont allégées par la compagnie de frères si proches, avec qui nous n’avons qu’un cœur et qu’une âme dans le Seigneur. Combien plus douce, plus délicieuse, plus heureuse sera l’union exempte de tout soupçon et de toute dissension, où une parfaite charité nous liera tous en une indissoluble alliance, si bien que, comme le Père et le Fils sont un, nous aussi, nous serons un en eux

* Sermon 5 pour la Toussaint, 1 3.6. Texte latin dans S. Bernardi Opera,

vol. 5, éd. J. Leclercq, Rome 1968, p. 361 363.365.

„Lectures chrétiennes pour notre temps » : © 1972 Abbaye d’Orval, Belg.