Le jour où Dieu se tait

Il se fit un grand silence! Avant même que la nuit tombe et que le sabbat impose à la ville entière sa tragique immobilité, les ténèbres couvrent le ciel. Le cadavre de Jésus se relâche sur la croix puis sur les genoux de Marie. Encore quelques heures et Joseph d’Arimathie avec va refermer de la pierre le tombeau…et que  la Parole d’amour que Dieu a prononcée dans ce monde va se taire définitivement..

Bien sûr, nous savons qu’il y aura Pâques et que dimanche tout recommencera! Mais n’allons pas trop vite! Avant le troisième jour, celui où Dieu répond, il y a le deuxième jour, celui où Dieu se tait.

Le deuxième jour, c’est « celui qui sépare le crime de sa punition, la question de la réponse, la prière de la grâce. C’est le temps du triomphe provisoire du péché. C’est le temps d’une mutation entre deux certitudes, entre deux présences, entre deux évidences: quand il n’y a plus hier et pas encore demain. C’est le temps où la vie et la mort, la certitude et le doute, la présence et l’absence, la nostalgie et l’espérance se disent dans les mêmes mots et les mêmes gestes, se mélangent et se contredisent dans les mêmes rites. »

Dans les pleurs de la mère qui serre sur son cœur son enfant mort, il y a bien sur refus mais aussi l’acceptation d’une évidence? Dans l’abandon d’un ami se mêle la souffrance, la rage mais n’y a-t-il pas place pour l’attente? Dans le silence des cimetières, ne rencontre-t-on pas  désespoir et aussi de l’espérance ?

Car tel est le temps des hommes, le temps de la foi, le temps de l’Église, nous sommes toujours entre deux…un passé et un avenir..

Ce n’est pas pour rien que le crucifix avec le cadavre de Jésus est notre signe a de quoi choquer. Dans » un monde comme le nôtre où on cache la mort,  comme un scandale inacceptable et une faiblesse honteuse, le fait que nous célébrons, vénérons le cadavre de Jésus, qu’on le montre sur une croix, qu’on le suit en procession, on l’expose au regard de la foule, est d’une impudeur intolérable. On nous parle de traumatismes psychologiques pour les frêles  sensibilités des enfants… alors que pendant ce temps, sur nos écrans, les cadavres s’entassent au rythme des fictions et des actualités.

Nous avons à vivre avec la mort. Tel est notre sort. Telle est notre grandeur. On peut imaginer que Pierre, Jacques, Jean et les autres se sont rappelés aujourd’hui des paroles que Jésus a prononcé, des événements qu’il a vécu et les ont marqués…

 Sans doute les chrétiens, derrière Pierre Jacques Jean et les autres, affirment-ils que la mort n’aura pas le dernier mot. Mais avec Pierre, Jacques, Jean et les autres, chacun à sa manière connaît les questions et les doutes, les déceptions et les silences, les révoltes et les solitudes fiés à ce monde où Dieu, le plu souvent, se tait.

Il arrive qu’on propose la foi en évacuant le deuxième jour. On évoque le visage rayonnant de Jésus de Nazareth. On célèbre la présence du Ressuscité dans des . alléluia » joyeux. On fait comme si n’ existait pas ce temps de l’absence, du silence  et du doute. On oublie que l’hiver est nécessaire pour que le grain semé à l’automne se lève au printemps .

Si nous oublions le deuxième jour, « la parole de Dieu n’est  plus qu’une fiction pour nous faire imaginer le monde autrement qu’il n’est. »

« L’Église n’est plus qu’une communauté de rêveurs et la foi n’est plus qu’un jeu de l’esprit , inaccessible  à nos  frères les hommes. » C’est sans doute ce qu’on reproche aux chrétiens : d’être déconnecté de la réalité et mettre la foi à toutes les sauces comme un remède à toute souffrance, toute attente.

L’Eucharistie elle-même, parce qu’elle  est au cœur de la vie de l’Église,  porte en elle cette ambivalence de la présence et de l’absence. Certes, elle est sacrement de la présence du Ressuscité, mais sacrement de la foi, sert à nos yeux qui ne voient que du pain et du vin. Elle est promesse de vie éternelle, mais au travers d’un mémorial de mort. Elle est rite de communion à Dieu, mais sur un fonds de silence de Dieu.

            Sur le buffet, la photo du père : (chez des voisins) c’est  pour toute la famille le souvenir du visage, c’est une présence mais en même signe d’une absence et comme l’attente d’un retour qui n’arrivera jamais, ou alors tout autrement, ou plus tard. Mais elle dit aussi le poids de la solitude, l’inquiétude et les questions, la souffrance.

Dans le signe de cette absence, la photo ouvre à un avenir inespéré, mais on ne sait jamais.

            Les fleurs fidèlement  déposes, les baisers et les chants des enfants, rites joyeux autour de la photo, cachent difficilement le drame de l’absence en cherchant à l’exorciser.

La photo est une présence non du passé mais pour aujourd’hui et dans l’espoir d’un demain dont on ne sait pas ce qu’il pourra être…

Ainsi l’Eucharistie. Même si elle assure une «présence réelle du Christ ressuscité, elle est attente d’une autre présence plus évidente, plus complète, plus définitive. Elle nous est donnée comme mémorial du Christ qui est venu ,comme promesse Christ qui reviendra. Mais elle nous est donnée pour ce deuxième jour où le Christ n’est pas là, où Dieu se tait, où le ciel est obscur.

«Je n’ai rien voulu savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié». Pas plus que Paul, nous ne pouvons annoncer le mystère de Dieu comme un rêve consolant une histoire merveilleuse, un récit fantastique. II nous faut témoigner de notre foi en un Dieu d’amour et de notre espérance en un royaume de paix, au milieu de ce monde tel qu’il est.

IL nous faut croire sans fermer les yeux sur les horreurs du présent, sans refuser de voir la fragilité de  la vérité et de la justice, en souffrant avec les innocents, en partageant leur révolte, en gardant au cœur le cri du Christ, en comprenant (ironie de la foule, en portant comme un fardeau (absence de Dieu).

  • Pourquoi? Pourquoi Père, m’as-tu abandonné ?

Le temps de l’ Église est vraiment ce temps du deuxième jour. Elle est faite pour ce gué entre les deux rives. Elle est faite pour nous aider il vivre ce délai entre ce qui n’est plus  et ce qui n’est pas encore.  Elle est faite pour ce tempe où nous n’avons pas plus que les autres de réponse aux questions que posent la souffrance de l’innocent et le triomphe de la haine.

Elle est faite pour nous faire rendre patience du silence de Dieu.