1ère lecture : Deutéronome 8/2-3.14b-16a

Pour mieux comprendre cette lecture prenons le temps de lire le passage en entier en terminant aux versets 17-18.

2 Tu te souviendras de toute la route que le SEIGNEUR ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements.
3 Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR.[…]
4 Ton manteau ne s’est pas usé sur toi, ton pied n’a pas enflé depuis quarante ans,
5 et tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils.
6 Tu garderas les commandements du SEIGNEUR ton Dieu en suivant ses chemins et en le craignant.
7 Le SEIGNEUR ton Dieu te fait entrer dans un bon pays, un pays de torrents, de sources, d’eaux souterraines jaillissant dans la plaine et la montagne,
8 un pays de blé et d’orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, un pays d’huile d’olive et de miel,
9 un pays où tu mangeras du pain sans être rationné, où rien ne te manquera, un pays dont les pierres contiennent du fer et dont les montagnes sont des mines de cuivre.
10 Tu mangeras à satiété et tu béniras le SEIGNEUR ton Dieu pour le bon pays qu’il t’aura donné.
11 Garde-toi bien d’oublier le SEIGNEUR ton Dieu en ne gardant pas ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te donne aujourd’hui.
12 Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter,
13 si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d’argent et d’or, beaucoup de biens de toute sorte,
14 ne va pas devenir orgueilleux et oublier le SEIGNEUR ton Dieu. C’est lui qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude;
15 c’est lui qui t’a fait marcher dans ce désert grand et terrible peuplé de serpents brûlants et de scorpions, terre de soif où l’on ne trouve pas d’eau; c’est lui qui pour toi a fait jaillir l’eau du rocher de granit;
16 c’est lui qui, dans le désert, t’a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de te mettre dans la pauvreté et de t’éprouver pour rendre heureux ton avenir.
17 Ne va pas te dire: «C’est à la force du poignet que je suis arrivé à cette prospérité», 18 mais souviens-toi que c’est le SEIGNEUR ton Dieu qui t’aura donné la force d’arriver à la prospérité, pour confirmer son alliance jurée à tes pères, comme il le fait aujourd’hui.
14 b C’est lui qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude ;
15 c’est lui qui t’a fait marcher dans ce désert grand et terrible peuplé de serpents brûlants et de scorpions, terre de soif où l’on ne trouve pas d’eau ; c’est lui qui pour toi a fait jaillir l’eau du rocher de granit ; 16a c’est lui qui, dans le désert, t’a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas.
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A propos de cette lecture :}}

En ce dimanche où nous fêtons le Sacrement du Corps et du Sang du Christ, ce texte de la première lecture est intéressant à plusieurs titres car il ne parle pas uniquement de la Manne ; mais de toute cette aventure dans laquelle le Seigneur s’est engagé avec l’humanité et pendant laquelle il s’est continuellement manifesté à son peuple, ne cessant de lui prodiguer ses dons en venant au secours de ses besoins. Ce peuple que Dieu « a fait sortir du pays d’Egypte », et l’a éprouvé pendant quarante ans afin de le fortifier dans sa foi, allait-il continuer à considérer son Dieu comme son libérateur ? Le risque en effet est d’avoir la mémoire courte. Que faire pour ne pas oublier ? Le peuple est invité à se rappeler que dans le désert, où tout lui manquait, il a survécu, grâce au don de Dieu, à la présence de celui qui voulait l’éduquer comme un père éduque son fils. Ce n’est pas tant les événements de l’histoire dont il faut se rappeler mais surtout Celui qui était au cœur et à l’origine des merveilles de manière à vivre aujourd’hui dans sa présence et la fidélité. Nous avons ici non un résumé de toute l’histoire du peuple de Dieu à partir de sa sortie d’Egypte, non pas la série d’événements qui les a conduit en Terre Promise mais un rappel, dans une relecture de foi , de la présence continuelle de Dieu tout au long de ces années et ce qu’il faut en retenir pour notre foi au présent et dans l’avenir. :
Si le désert fut un temps d’épreuve, un lieu de manque, il fut aussi le lieu de la manifestation des prévenances de Dieu : la manne en est la meilleure image. Ce temps de grâce il ne faut pas l’oublier tant la bonté du Seigneur fut manifeste. « Souviens-toi, tu feras mémoire de toutes les merveilles que le Seigneur fait pour toi durant ta longue marche au désert ». « Souviens-toi », la nécessité pour un Juif de « faire mémoire » est au cœur de l’Ancien Testament et est vécue par le Christ au jeudi saint lorsqu’ il dit : « faites ceci en mémoire de moi ». On ne peut ignorer qu’au moment où le Christ, célébrant la Pâque juive la veille de sa mort, il n’eût pas seulement que la mémoire du passage lu aujourd’hui, tant il avait conscience de donner un sens tout spécial à ce dernier repas. Avant de retourner vers son Père, à ce moment tragique de sa vie et dans la pleine conscience de sa mission, en accomplissant le sacrifice d’Alliance, Jésus le portait à son plus haut point : à travers le pain et le vin c’était son corps et son sang qu’il donnait en nourriture pour le salut du monde, « en rémission des péchés ».
Armilde Ruelle écrit : « lorsqu’est publié le Deutéronome, au 7ième siècle avant notre ère, Israël établi sur sa terre, connaît une période d’abondance et de haute prospérité matérielle : il croit posséder ses biens par la force de son génie, et a perdu de vue que son ancêtre, Abraham, était un araméen vagabond ! (Dt.26,5). ». Le livre du Deutéronome lui est alors donné pour qu’il se souvienne et réfléchisse à l’expérience du désert et fasse mémoire. Faire mémoire c’est apprendre à entendre le Seigneur dire « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir de la terre d’Egypte, de la maison de servitude » et en tirer les leçons pour aujourd’hui. Origène dit à juste titre que le peuple ne pouvait entendre ces paroles ni en Egypte, ni à sa sortie. Ce n’est qu’après avoir traversé bien des épreuves et subi des tentations, qu’il pouvait entendre et comprendre les Paroles du Seigneur. Comme au désert, il est maintenant invité à faire l’expérience « du discernement entre l’essentiel et l’accessoire ». Sa faim, sa soif ne sont pas seulement physiques, il a besoin de se tourner vers Dieu, d’entendre une parole qui vient de la bouche de Dieu, une parole créatrice qui crée l’homme et le monde jusqu’à sa pleine stature. C’est tout en faisant mémoire des exploits du Seigneur pour lui que le peuple va apprendre à reconnaître son Dieu, à ne pas oublier, à raviver sa soif de la Parole de Dieu. 8,3.14b.
« Contrairement à ce que le titre du livre laisserait penser, Deutéronome signifiant deuxième loi, ce recueil est bien plus que le rappel des vieux principes traditionalistes. Il s’agit en fait d’un mémorial de la condition du croyant. Plus que d’un simple moralisme, il est ici question d’une réflexion sur ce qui fonde notre appartenance au Peuple de Dieu et notre disponibilité à son action permanente dans notre existence et notre histoire. ». A. Ruelle.
La terre que Dieu donne, est décrite comme un pays renfermant tous les trésors qui en font un paradis terrestre : l’eau en abondance, des céréales, des fruits, des vignes, de l’huile d’olive, du miel, des minerais, bref, un pays où le peuple ne manquera de rien, un bon pays comme dit le texte.
Mais si le peuple s’accapare ces trésors pour en faire son bien propre, il risque alors de vivre ‘esclave’ de ce qu’il a reçu, de se laisser guider par les richesses et le bien-être matériel et d’en oublier ce qui fait le cœur de sa vie : il est le peuple choisi, choyé par le Dieu qui libère et il est appelé à en devenir le signe parmi les nations qui l’entourent. Ce trésor ne se reçoit que dans un contexte de libération. Et si le peuple fait mémoire du Dieu libérateur, alors, son trésor sera où est son cœur car il ne sera pas devenu orgueilleux.
_ En quoi, l’expérience d’Israël nous concerne-t-elle ? Dieu veut-il une preuve de l’attachement de son peuple, de sa fidélité. Son attachement s’appuie sur sa foi et sa foi sur la fidélité de Dieu tout au long de sa route à travers le désert. Maintenant qu’il connaît l’abondance le peuple oublie C’est sur le « souviens-toi » qu’il peut s’appuyer et renouveler sa foi.
_ En Deutéronome 6:4-9 nous trouvons déjà des recommandations et des conseils pour ne pas oublier et dans ce but il faut commencer dès le plus jeune âge aux enfants : « 4 ÉCOUTE, Israël! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN. 5 Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. 6 Les paroles des commandements que je te donne aujourd’hui seront présentes à ton cœur; 7 tu les répéteras à tes fils; tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout; 8 tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux; 9 tu les inscriras sur les montants de porte de ta maison et à l’entrée de ta ville ».
Dans la foulée du Shema Israël
C’est à travers l’expérience de sa pauvreté, de sa misère qu’il va découvrir qu’il ne peut pas les traverser sans l’indispensable confiance dans le Seigneur dont il reçoit tout et dépend totalement. Ce n’est qu’alors que nous pouvons faire l’expérience d’un Dieu proche et correspondre au don qu’il nous fait de la liberté. Nous vivons la rencontre de Dieu à travers les événements de la vie, dans une histoire vécue par d’autres avant nous. Au cœur de l’abondance, nous avons toujours à nous souvenir que ce que nous sommes et ce que nous possédons, nous le détenons pour l’avoir reçu ; nous sommes les gestionnaires des dons de Dieu. Nous ne sommes pas les sauvés d’un seul moment parce que nous le sommes continuellement de la main de Dieu. Nous avons par conséquent aussi à donner comme il nous donne, à pardonner comme il nous pardonne. La générosité de Dieu pour son peuple ne s’est pas arrêtée au désert, elle nous atteint aujourd’hui et nous avons à faire en sorte que, par nous, elle atteigne les hommes d’aujourd’hui. Face à un Dieu de toute gratuité, nous avons à vivre en recevant. Cette conviction doit nous habiter et nous engager à nous ouvrir à toute détresse ! La justice de Dieu ne nous invite pas à une simple philanthropie, mais au partage de nos biens. Le Deutéronome ne nous rappelle pas que de vieux principes. Il nous enseigne une morale de l’amour en action ; nous mettant à l’écoute de nos sœurs et frères les plus souffrants, il met en question tous les secteurs de la vie humaine, familiale, socio-économique,
_ « Toute libération est une épreuve, un voyage à accomplir sous l’horizon d’une promesse. Si la communion eucharistique au corps du Christ laisse derrière elle comme une insatisfaction, c’est que la liturgie culmine dans le cri d’acclamation d’Anamnèse : « Viens, Seigneur Jésus ! » Ainsi, le sacrement qui alimente en nous le désir de dépasser « la pauvreté » que constitue le rite eucharistique. « Au vainqueur » des épreuves de la vie chrétienne, le Christ donnera « la manne cachée » Apoc 2,17, Signes 124

A propos de quelques points précis :

V2 : « souviens-toi » : « se souvenir ce n’est pas seulement se référer au passé comme fondement du présent, c’est aussi le saisir dans son efficacité actuelle et le continuer en pratiquant une éthique déterminée ».
V2 : Connaître la pauvreté est parfois traduit pas « humilier »
V2 : « T’éprouvait » est plus à comprendre dans le sens d’une expérience, d’un essai que celui d’une « souffrance ».
V3 : « Tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » : « dans la théologie de la création par la Parole, ce qui sort de la bouche du Seigneur signifie d’abord toute chose créée.. » » Dumortier dans « Assemblées
Il t’a fait passer par la pauvreté, t’a fait sentir la faim pour te faire découvrir ce qui nourrit l’homme : ce qui sort de la bouche du Seigneur.