Rameaux

L’entrée de Jésus à Jérusalem se trouve relatée par les 4 évangiles. Les divergences sont nombreuses et frappent dès l’abord.

Pour saisir la portée d’une page d’évangile il importe de se familiariser avec les réflexes de son auteur.

Le mont des Oliviers et le Messie

A la lumière des conceptions juives la venue de Jésus et son bref séjour au mont des Oliviers peuvent revêtir un réel caractère messianique.

Le texte du deutero-Zacharie pourrait être le point de départ d’une tradition concernant le Messie : « Ses pieds, en ce jour, se poseront sur la montagne des Oliviers, qui fait face à Jérusalem du côté de l’Orient. Le mont des Oliviers se fendra par le milieu en direction est-ouest en une immense gorge…14,4

Ces mots décrivent l’intervention de Yahvé en personne dans le combat eschatologique dont Jérusalem sera la scène, à la fin des temps.

L’âne

Dans l’AT l’âne est présent en divers récits de la tradition patriarcale : il est aussi la monture royale et partant la monture du Messie.

« Il lie son âne à la vigne » Gn 49,11. Les Maîtres expliquent ces mots de cette façon : Dieu dit ; je suis attaché à la vigne (cad à Israël) et au raisin de prix de sa ville ( cad de Jérusalem) ; le petit d’une ânesse, cad quand viendra celui dont il est dit «  pauvre monté sur un âne »

Dans la tradition la bête destinée au sacrifice ou à tout autre usage sacré devait être vierge de tout usage profane.

La consigne de Jésus peut s’inspirer de la législation biblique. Nb 19,2 « une vache sans défaut ni tare et qui n’ait pas porté le joug »

Jésus est roi et la foule le crie.

Dans l’univers hellénistique une telle entrée faisait partie du rituel de la Parousie cad visite officielle du roi dans une province ou vielle.

Le cérémonial des joyeuses entrées fournissait naturellement aux chrétiens des images à l’aide desquelles ils se représentaient la venue du Seigneur. L’entrée de Jésus à Jérusalem avait revêtu les traits d’une visite du Messie à sa capitale.

Hosanna

Hosanna est la translitération grecque de l’araméen « hosha-na », traduction de l’hébreu « hoshi’a-na » qui signifie « sauve ». Le mot exprime une supplication instante ou tient lieu d’acclamation liturgique. A la fête des tabernacles c’était une supplique pour demander la pluie, mais dans la littérature évangélique c’est un cri de louange.

Celui qui vient

Cette manière de désigner le messie comme celui qui vient reflète une conception messianique particulière. Celui qui était, qui est et qui vient…

Les palmes

Il n’est question de palme que dans le récit johannique. Le lien entre les branches de palmier et la fête des Tentes se rencontre dans les éléments décoratifs de synagogue juives anciennes.

On retrouve des palmes sur les monnaies de Vespasien et Nerva en commémoration de la victoire de l’insurrection juive (70-71). Il y eut réplique juive avec monnaie juive avec des palmes d’une victoire nationale. Il semble à peu près certain que les palmes étaient un attribut de la victoire, un ornement du triomphe royal et le symbole du pouvoir d’Israël. Elles avaient un lien avec certaines célébrations liturgiques.

Chaque récit évangélique a une forte coloration messianique : la vision du mont des Oliviers avec tout ce qu’elle représentait pour le juif contemporain de Jésus, image de l’âne avec les traditions qui lui étaient attachées, y compris la formule » celui-qui vient ».

Chaque évangéliste a nuancé cette coloration selon sa sensibilité et selon ses orientations propres.

Luc reflète davantage les anciens récits d’intronisation ou de sacres bibliques tandis que Jean paraît s’inspirer des rituels classiques de la « parousie » hellénistique.

Récit de Matthieu 21, 1-9

L’intention matthéenne d’accentuer fortement l’abaissement, l’humilité du Christ au moment de son entrée messianique dans la cité du Grand Roi est très nette. Jésus est roi mais à condition qu’il soit d’abord « le roi humble ». C’est un tel roi que vise en priorité la béatitude des doux en Mt 5,5.

C’est le même roi qui déclare : « je suis doux et humble de cœur » Mt 11,29

Le Christ entre à Jérusalem pour que se déroule réellement le drame de sa passion sans lequel il ne serait pas vraiment roi. On comprend combien Mt a voulu « christianiser » l’oracle de Za 9,9 fort populaire chez les juifs : « exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. Il retranchera d’Ephraïm la charrerie et de Jérusalem les chevaux ; l’arc de guerre sera retranché. Il annoncera la paix aux nations. Son empire ira de la mer à la mer et du Fleuve aux extrémités de la terre » Un messie humble qui s’imposera par la douceur et non par la force. Ce sera un pacifique.

Mt a voulu articuler harmonieusement l’entrée à Jérusalem avec la péricope des aveugles de Jéricho qui précède immédiatement.  Dans ce récit la mention de la foule est une flèche vers l’entrée à Jérusalem. Tout comme ces aveugles les foules « criaient » « Fils de David ». Trait propre à Mt qui souligne les liens entre la péricope des aveugles et l’entrée à Jérusalem : deux instants solennels qui marquent les étapes d’une même progression : l’un sur le chemin qui va de Jéricho à Jérusalem et l’autre à l’entrée de Jérusalem. La troisième étape c’est le temple. On y va directement : il n’y a rien avant. Une fois dans le temple Mt insère deux éléments qui lui sont propres : la guérison des aveugles et des boiteux et l’épisode des enfants qui eux aussi acclament Jésus en criant : « Fils de David ».

Ce qui compte ce n’est pas tellement la présence des enfants qui prépare et justifie la réflexion du Christ mais la teneur de leur proclamation : « Fils de David » et le lieu où elle est faite (le temple, cœur de la cité du Grand Roi) et la référence implicite au Ps 8. Seigneur, notre Seigneur combien il est admirable ton nom sur toute la terre » : articulation entre Fils de David et Seigneur, formule utilisée par les aveugles « Seigneur, aie pitié de nous, fils de David »

C’est dans cette marche liturgique en trois étapes, dans ce pèlerinage qui se termine par une sorte d’intronisation du Messie dans la demeure unique du Seigneur, dieu d’Israël, que le récit de l’entrée à Jérusalem prend tout son sens.

Le récit de la Passion donnera sa signification véritable à cette intronisation.

En réalité le « fils de David « est avant tout le roi humble que désigne la citation de Mt 21,5.

Il est aussi le Fils de l’homme qui monte à Jérusalem pour y être livré cf la troisième annonce de la Passion. C’est « Le fils de David » est « le Seigneur » en étant le « roi humble » : tels sont les trois sommets de cette périscope.

Il y a dans la mort du Christ une véritable ambiguïté. On ne peut ignorer ce qui s’est passé le vendredi saint : la mort du Christ revêt une gloire qui est sa vérité définitive.

La mort du Christ, suite à un procès qui est présenté comme odieux nous paraît être un crime, conséquence de la méchanceté des chefs du peuple.

La mort de Jésus est l’issue d’un conflit qui remonte au début de sa prédication.

Ils étaient bornés, incapables d’imaginer un Dieu qui ne fût pas conforme à l’opinion régnante et qui n’approuvait pas ce qui s’était toujours dit et toujours fait.

Tout en Jésus avait l’allure du prophète, la parole, l’attitude, le miracle même et pourtant tout en lui sapait l’organisation séculaire de la religion et faisait éclater l’image de Dieu.

Le chemin qui menait à Dieu, selon Jésus, leur parut tellement impensable qu’il leur parut impensable que cet homme ne fût pas un faut messie. Le procès est l’issue de ce drame de conscience.

Jésus innocent n’avait pas comploté contre César. Mais pour un juif l’innocence de Jésus n’allait pas de soi. Il bouleversait les fondements idéologiques de la nation.

Jésus avait ouvert un chemin si singulier que personne ne s’y retrouvait. Il fit donc l’unité contre lui.

La scène de dérision au pied de la croix est éclairant à ce sujet : les chefs constatent que la voie de Jésus ne mène à rien. S’il est prophète de Dieu, Dieu se chargera de lui. Mais Dieu en le laissant ratifie le jugement. La Loi avait raison : la mort de Jésus et non point son procès, le range effectivement parmi les blasphémateurs puisque celui dont il s’était prétendu le porte-parole ne le justifie pas.

« Mieux vaut qu’un homme meure pour le peuple » Jn 18,14.

La parole de Jésus sapait les bases de la nation. Dieu ne le délivrera pas : son entreprise ne venait pas du ciel.

Aux yeux des contemporains la mort de Jésus parut justifier l’opinion que les chefs du peuple portaient sur sa prédication.

La scène finale (en Mc 15,38-39) dans laquelle le centurion confesse le Fils de Dieu et le voile du temple se déchire signifiant l’abolition de l’Alliance ancienne et l’universalité de la nouvelle, donne le ton du récit.

L’événement cruel en même temps que banal de la mort d’un prédicateur ambulant malheureux est élevé à la hauteur d’un événement divin, théologique.

Mt et Lc obéissent à un projet doctrinal : l’un plus axé sur l’éclatement de l’ancienne alliance par la faute du peuple juif et sa continuité dans la communauté chrétienne, l’autre plus attentif au caractère exemplaire de Jésus, juste et souffrant.

La mort du Christ est une mort pour nous et les évangélistes mettent en lumière la raison universelle de cette condamnation.

Ils étoffent ce qui deviendra un article du credo : « il est mort pour nos péchés »

Quel piège y a-t-il ?

Le piège vient d’une tentation d’impatience : la lumière de la Résurrection, si elle situe la crucifixion dans sa vérité ne le fait qu’en assumant différents niveaux du sens de cette mort.

Les récits de la passion ne sont pas séparables de ce dont ils sont la conséquence.

Ne pas arracher la mort de Jésus de son enracinement historique. Ce drame se déroule entre des acteurs : juifs et romains qui ne sont pas des marionnettes.

Les antagonistes sont des catégories universelles, le péché, la mort, l’amour, le don. Jésus est le lieu de ce drame, il n’en est pas l’acteur.

La Passion de Jésus n’est pas séparable de sa vie terrestre, de sa Parole. Celle-ci donne sens à sa mort.

Jésus n’est pas mort de n’importe quelle mort : il a été condamné, non par suite d’un malentendu mais par son attitude réelle, quotidienne.

La mort est l’aboutissement de son chemin de liberté car l’obéissance de Jésus n’est pas la soumission à un impératif, elle est l’action s’accordant à la volonté libératrice de Dieu.

La lecture de la Passion est chrétienne, non seulement lorsqu’elle s’illumine de la clarté de Pâques, mais lorsqu’elle se laisse interpréter par les paroles et l’attitude de Jésus qui sont la source effective du conflit.

Signification actuelle de la Passion

Jésus n’a pas dérobé sa face aux outrages et aux crachats

Sa lutte n’a pas été vaine, et la fidélité avec laquelle il va soutenir la cause du « Royaume de Dieu » est en définitive victorieuse à un point jusque là insoupçonné puisqu’elle a brisé le destin le plus irrécusable de la mort : elle l’a détruit en s’attaquant à la racine de ce qui nous enchaîne et dont la mort est la conséquence.

Dans sa passion, le Christ est « homme des douleurs ».