En référence aux Actes des apôtres 28, 15-31

Le Comte De Dunois – La libération d’Orléans 

Le 27 mai, de grand matin, au début de l’assaut contre le boulevard du Pont, Jeanne fut blessée d’une flèche qui pénétra d’un demi-pied dans sa chair, entre le cou et l’épaule. Elle ne s’arrêta pas pour autant de combattre, ni ne se fit soigner ; l’attaque dura du matin jusqu’à huit heures du soir, et l’on ne voyait guère d’espoir en une issue favorable. Inquiet, je voulais que l’armée fît retraite et rentrât à Orléans. Alors Jeanne vint à moi et me pria d’attendre encore un peu ; elle sauta de cheval, se retira toute seule dans une vigne, assez loin des troupes, et y demeura en prière un demi-quart d’heure environ. Après quoi, elle prit son étendard, se plaça sur le bord du fossé et aussitôt, devant elle, les Anglais se mirent à trembler de peur ! Les soldats du Roi reprirent courage et commencèrent à grimper et à attaquer le boulevard sans rencontrer la moindre résistance. Le boulevard fut pris et les Anglais qui s’y trouvaient tâchaient de déguerpir ; mais ils moururent tous : entre autres Classidas et les autres principaux capitaines anglais de la bastille qui tentaient de se réfugier dans la tour du pont d’Orléans churent à l’eau et se noyèrent. Or ce Classidas avait été le plus acharné à parler injurieusement de la Pucelle et à la vilipender avec ignominie.

La bastille prise, je revins avec la Pucelle et les Français jusqu’à l’intérieur d’Orléans, où nous fûmes reçus avec grande joie et chaleur. On mena Jeanne à son logis pour soigner sa blessure. Quand le chirurgien eut terminé, elle se restaura de quatre ou cinq rôties trempées dans du vin très coupé d’eau, et ce fut toute sa nourriture pour la journée.

Le lendemain, de bonne heure, les Anglais sortirent de leurs tentes, et se mirent en ordre de bataille. À cette vue, la Pucelle quitta son lit et s’habilla toute seule, d’une cotte légère appelée jasseran ; mais elle n’autorisa personne à attaquer les Anglais car c’était dimanche, ni à leur demander quoi que ce fût. Qu’on leur permit de s’en aller ! C’est ce qu’ils firent effectivement, sans être poursuivis. De cette heure, la ville fut libérée.

Après la levée du siège d’Orléans, les Anglais avaient rassemblé une forte armée pour défendre les places qu’ils continuaient à tenir. Alors que nous assiégions le château et le pont de Beaugency, l’armée anglaise déboucha sous Meung-sur-Loire qui était encore de leur obédience ; mais sans qu’ils eussent pu porter secours aux assiégés de Beaugency, la nouvelle leur parvint du retour de cette place à l’obédience du Roi. Ils se constituèrent alors en une armée unique, si bien que les Français croyaient qu’ils se proposaient de leur adresser un défi en règle. Aussi se rangèrent-ils eux-mêmes en bataille dans cette attente. C’est alors que Messire le Duc d’Alençon, en présence du Connétable, de moi-même et de plusieurs autres, demanda à Jeanne ce qu’il fallait faire. Elle lui répondit à voix haute : « Ayez de bons éperons ! » Alors les assistants demandèrent à Jeanne : « Que dites-vous là ? Devrions-nous tourner les talons ? » Elle leur répondit : « Non, ce seront les Anglais qui ne se défendront pas et seront vaincus, et vous aurez besoin d’éperons pour leur courir sus ». Et c’est ce qui advint : ils battirent en retraite et il y en eut, tant morts que prisonniers, plus de quatre mille.

Déposition au procès de réhabilitation