En référence aux Actes des apôtres 21, 27-39

Dietrich Bonhoeffer – La communauté chrétienne authentique 2/2

Nous devons bien nous persuader que, transportés à l’intérieur de la communauté chrétienne, nos rêves de communion humaine, quels qu’ils soient, constituent un danger public et doivent être brisés sous peine de mort pour l’Église. Celui qui préfère son rêve à la réalité devient un saboteur de la communauté, même si ses intentions étaient, selon lui, parfaitement honorables et sincères.

Dieu hait la rêverie pieuse, car elle fait de nous des êtres durs et prétentieux. Elle nous fait exiger l’impossible de Dieu, des autres et de nous-mêmes. Au nom de notre rêve, nous posons à l’Église des conditions et nous nous érigeons en juges sur nos frètes et sur Dieu lui-même. Notre présence est pour tous comme un reproche perpétuel. Nous ressemblons à des gens qui pensent qu’ils vont pouvoir enfin fonder une vraie communauté chrétienne et qui exigent que chacun partage l’image qu’ils s’en font. Et quand les choses ne vont pas comme nous le voudrions, nous parlons de refus de collaborer, quitte à proclamer que l’Église s’écroule lorsque nous voyons notre rêve se briser. Nous commençons par accuser nos frètes, puis Dieu, puis, en désespoir de cause, c’est contre nous-mêmes que se tourne notre amertume.

Il en va tout autrement quand nous avons compris que Dieu lui-même a déjà posé le seul fondement sur lequel puisse s’édifier notre communauté et que, bien avant toute démarche de notre part, il nous avait liés en un seul corps à l’ensemble des croyants par Jésus-Christ ; car alors, nous acceptons de nous joindre à eux, non plus avec nos exigences, mais avec des cœurs reconnaissants et prêts à recevoir. Nous remercions Dieu de ses bienfaits. Nous le remercions de nous donner des frètes qui, eux aussi, vivent de son élection, de son pardon et sous sa promesse. Nous ne songeons plus à nous plaindre de ce qu’il nous refuse, et nous lui rendons grâces de ce qu’il nous donne chaque jour.

II nous donne des frètes appelés à partager notre vie faillible et inquiète sous la bénédiction de sa grâce. Que nous faut-il de plus ? Ne nous donne-t-il pas tous les jours, même aux plus difficiles et aux plus menaçants, cette présence incomparable ? Lorsque la vie de la communauté est gravement menacée par le péché et l’incompréhension, un frète demeure un frète, même coupable. Je reste placé avec lui sous la parole du Christ, et sa faute peut être chaque fois pour moi une nouvelle occasion de remercier Dieu, qui nous permet à l’un et à l’autre de vivre sous sa grâce.

 De la vie communautaire, Paris, Cerf, 1968 (Foi Vivante 83), 21…24