En référence aux Actes des apôtres 21, 1-26
Dietrich Bonhoeffer – La communauté chrétienne authentique 1/2
Vouloir davantage que ce que le Christ a établi entre nous, ce n’est pas désirer une fraternité chrétienne, c’est s’en aller à la recherche de je ne sais quelles expériences communautaires inédites qu’on pense trouver dans l’Église parce qu’on ne les a pas trouvées ailleurs et c’est introduire dans la communauté chrétienne le trouble ferment de ses désirs.
C’est ici que la fraternité des croyants court les plus graves dangers – et cela, la plupart du temps, dès les tout premiers jours : l’intoxication par l’intérieur, provoquée par la confusion entre fraternité chrétienne et un rêve de communauté pieuse, par le mélange de nostalgie communautaire que tout homme religieux porte en soi avec la réalité d’ordre spirituel qu’implique la fraternité en Christ. Or, il est de toute importance de prendre conscience dès le début que, tout d’abord, la fraternité chrétienne n’est pas un idéal humain, mais une réalité donnée par Dieu ; et, ensuite, que cette réalité est d’ordre spirituel et non pas d’ordre psychique.
On ne saurait faire le compte des communautés chrétiennes qui ont fait faillite pour avoir vécu d’une image chimérique de l’Église. Certes, il est inévitable qu’un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu’il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu’elle doit être et essaye de le réaliser. Mais c’est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doive sans cesse être brisé.
Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut même que nous soyons déçus, déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ne serait-ce que quelques semaines, dans l’Église de nos rêves, dans cette atmosphère d’expériences bienfaisantes et d’exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n’est pas un Dieu d’émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité.
C’est pourquoi seule la communauté qui ne craint pas la déception qu’inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares, pourra commencer d’être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite. Il vaut mieux pour l’ensemble des croyants, et pour le croyant lui-même, que cette déception se produise le plus tôt possible. Vouloir à tout prix l’éviter et prétendre s’accrocher à une image chimérique de l’Église, destinée de toute façon à se «dégonfler », c’est construire sur le sable et se condamner, tôt ou tard, à faire faillite.
Le moment où se produit la grande déception dont nous avons parlé à propos de nos premiers contacts avec les autres croyants, peut être pour nous tous une heure vraiment salutaire; car elle nous fait comprendre que nous ne pouvons absolument pas compter, pour vivre ensemble, sur nos propres paroles, sur nos propres actions, mais uniquement sur la Parole et sur l’Action qui réellement nous lient les uns aux autres, à savoir le pardon de nos péchés par Jésus-Christ. La vraie communauté chrétienne est à ce prix : c’est quand nous cessons de rêver à son sujet qu’elle nous est donnée. »