Saint Antoine de Padoue

En référence à la lettre de st Paul apôtre aux Phillipiens 4, 10-23

NORMAN PAINTING « LE PREMIER SERMON D’ANTOINE »

Antoine de Padoue, alors jeune frère mineur, accompagna un jour son provincial, le Père Gratiano, qui allait prendre part à une ordination. Le petit groupe pénétra dans la cathédrale de Forli en même temps qu’un grand nombre de fidèles ; aussi fut-il aisé pour Antoine de se faufiler derrière une colonne de la nef, à la hauteur du transept. Gratiano, lui, s’avança vers la sacristie car il lui incombait, de par son titre, d’être à l’autel durant l’ordination. Il s’agenouilla et pria quelques instants. À ce moment, le maître de cérémonie surgit de la sacristie, en proie à un émoi qu’il ne pouvait dissimuler et se dirigea vers Gratiano : « Frère Gratiano, dit-il, tout est prêt pour la cérémonie mais… il n’y a pas de prédicateur ; le frère qui était désigné pour prêcher vient de tomber malade et il n’est plus possible de compter sur lui ». – « Comment, s’irrita le Provincial, mais il y a bien quelqu’un qui peut le remplacer ? ». – « Très Révérend Père, vous savez bien que notre Ordre ne compte guère de prédicateurs : tous ceux que j’ai interrogés avant votre venue refusent ». – « Mais enfin, tout le monde peut prêcher un sermon de circonstance”, répartit le provincial. Une inspiration lui vint et tout son visage se détendit : “Je connais l’homme qu’il nous faut : le frère Antoine ! Il est prêtre et arrivera bien à s’en tirer. Va vite le chercher quelque part dans l’église et tu lui diras que le Père Gratiano lui commande de se charger du sermon ». Le cérémoniaire, l’air assez peu convaincu, parut soulagé et se hâta d’exécuter l’ordre. Il découvrit enfin Antoine en prière. « Le Père Gratiano, lui dit-il, me charge de vous dire qu’il désire que vous prêchiez le sermon, après l’Évangile ». Déjà il se préparait à répondre à des objections ou des excuses, mais à sa grande surprise, Antoine garda son calme et répondit en toute simplicité : “Très bien. Si tel est le désir du Père Gratiano, je prêcherai ».

La cérémonie commença. Gratiano eut à concentrer toute son attention sur les rites à accomplir pendant l’ordination. La question du sermon n’effleura même pas son esprit tandis qu’il s’affairait aux côtés de l’évêque. Mais, lorsque l’imposition des mains et le sacre des nouveaux ordonnés eurent pris fin, une sueur froide couvrit son front. Il s’inquiétait. C’est alors qu’Antoine se dirigea vers la chaire d’un pas assuré. Le Provincial se pencha en avant pour mieux voir, tandis que, sans qu’il le remarquât, toute l’assistance en faisait autant. Quel était ce jeune frère que personne ne connaissait, pourquoi avoir choisi un étranger pour un auditoire de choix ?

Antoine cita le texte d’introduction avec une parfaite maîtrise de lui-même puis il commença à prêcher avec un élan oratoire indiscutable. Gratiano n’en pouvait croire ses oreilles. Il se laissa sombrer sur son siège, un sourire de contentement sur les lèvres, et une étincelle dans les yeux.

Antoine énonça de mémoire des textes de l’Écriture et des Pères de l’Église, les comparant, les disséquant d’une manière qui dénotait une érudition profonde et une facilité d’expression sans bornes. Il parla longtemps, tantôt comme un érudit préparé de longue date à un sermon de ce genre qui laisserait couler de ses lèvres dans une progression parfaite la parole divine, tantôt comme un être inspiré, pétri d’un idéalisme surnaturel débordant. Il faisait siennes toutes les vérités qu’il exprimait, avec une intensité et une ferveur si profondes que l’auditoire ne pouvait douter qu’elles ne fussent l’image même de sa vie.

Après le sermon, tous les fidèles comprirent qu’ils venaient d’assister au prélude d’une magnifique œuvre dans le domaine oratoire, mais ce qui leur sembla le plus insolite ce fut de trouver un disciple de saint François d’Assise personnifiant l’érudition. Ils étaient habitués à ces bons franciscains, vivant comme les oiseaux du ciel, tendant la main à tous ceux qui gémissaient ou qui souffraient, répandant la parole de Dieu par l’éloquence la plus naïve.

Une vie surgit de l’ombre, p. 78-81.