Fête de Sainte Lutgarde

En référence au livre d’Esdras 4, 1-5.24 à 5, 5

THOMAS MERTON « QUE VEUX-TU DONC ? »

La familiarité intime de sainte Lutgarde avec Dieu pourra paraître à certains une attitude présomptueuse ou désinvolte. Elle lui exprimait ses préférences et ses dégoûts au sujet des faveurs extraordinaires qu’elle recevait. Le pouvoir de guérir lui ayant été octroyé, par son seul attouchement elle guérissait instantanément de leurs maladies ceux qui l’approchaient. Elle fut vite assaillie par tous ceux qui la supplièrent de les délivrer de leurs moindres malaises. Elle s’en plaignit à Dieu, l’assurant que cela entravait sa prière : « Mon Seigneur, pourquoi m’avez-vous donné une telle grâce ? Maintenant, j’ai à peine le temps d’être seule avec vous ! Reprenez-la, s’il vous plait ! ». Elle ajouta naïvement : « Seulement, donnez-m’en une autre meilleure ». – « Quelle grâce veux-tu que je te donne à la place ? » lui demanda le Christ.

Lutgarde pensa qu’étant religieuse de chœur, il lui serait très avantageux d’être douée d’une connaissance miraculeuse du latin, qui lui permettrait de réciter les psaumes avec plus de dévotion. Car elle ne comprenait pas un mot de ce qu’elle disait au chœur, bien qu’elle priât avec une grande ferveur de volonté. Mais cette grâce lui ayant été accordée, elle découvrit avec surprise qu’elle n’en retirait pas le résultat attendu. Elle commença à recevoir à l’Office maintes vives lumières intellectuelles, fut illuminée par des intuitions pénétrantes sur le sens des psaumes, mais tout cela la laissa vide et sèche. L’explication que nous donne Thomas de Cantimpré de ce phénomène n’est pas aussi satisfaisante qu’on pourrait le désirer. Il nous dit que « le mystère est la mère de la dévotion puisqu’un sens qui échappe est recherché avec une avidité plus grande, ce qui se cache étant estimé avec plus de révérence ». Cependant il est des circonstances où l’entendement, non seulement aide la prière, mais y tient une place essentielle.

En lui accordant cette faveur et en lui donnant de reconnaître qu’elle ne lui était pas utile, Dieu l’avait éclairée sur ce qui lui était réellement nécessaire. Elle se tourna bientôt vers lui, confessant que ces hautes intuitions ne faisaient qu’entraver sa ferveur au lieu de la nourrir.

Alors Jésus lui demanda : « Que veux-tu donc ? » Découvrant par une inspiration divine le vrai bien à désirer, elle répondit : « Seigneur, je veux ton Cœur ». ‑ Qu’est-ce à dire, répliqua Jésus : « Tu veux mon Cœur ? C’est moi qui veux le tien ! » – « Prends-le, Seigneur bien-aimé, mais prends-le d’une telle manière, que par l’amour de ton Cœur étroitement uni au mien, je ne possède plus mon cœur qu’en toi, et qu’il y demeure à jamais dans la sécurité, sous ta protection ».

Voici exprimé en termes simples et figurés, la définition du « mariage mystique » qui résume l’enseignement de saint Bernard sur ce sujet, et à la vérité, la doctrine de tous les grands théologiens chrétiens et mystiques sur cette parfaite union des volontés.

Ces dernières paroles de la Sainte sont une supplication pour obtenir la protection divine du Cœur du Christ, protection qui gardera son cœur en sûreté en le préservant de tout péché. Thomas de Cantimpré nous décrit d’une manière charmante comment cette prière fut exaucée. Il nous assure que, dès lors, Lutgarde reposa dans le côté blessé de Jésus comme un petit enfant dans son berceau. Jésus chassait toutes les tentations qui l’assaillaient, comme les nourrices du vieux Brabant chassent les mouches, avec un éventail, loin des berceaux de leurs petits. Lutgarde ne fut plus attaquée par des pensées ou des images charnelles, son âme n’eut plus à lutter contre la chair et, unie au Cœur du Christ, demeura désormais sereine.

Quelles sont ces plaies ? p.27 –30