En référence aux Actes des apôtres 26, 1-32

Saint Augustin – L’unique objet de nos désirs

L’Écriture nous apprend par des exemples à ne pas avoir une trop grande opinion de soi-même quand nos prières sont exaucées, alors qu’on demande avec insistance ce qui aurait été plus utile de ne pas obtenir. Elle nous montre aussi qu’il n’y a pas lieu de nous décourager et de désespérer de la miséricorde divine, si elle n’exauce pas des demandes qui seraient pour nous la source d’affreux malheurs. Dans de telles demandes, nous ne savons pas prier comme il faut.

Mais celui qui demande à Dieu la seule chose qui importe et la recherche, qu’il prie avec certitude et confiance et ne craigne pas qu’il lui soit dommageable d’être exaucé. Cette seule chose à demander, c’est la seule vie véritable et heureuse, où, nous-mêmes immortels et incorruptibles de corps et d’esprit, nous contemplerons pour toujours les délices du Seigneur. C’est pour cette seule vie qu’il convient de rechercher les autres biens et de les demander convenablement. Celui qui la possédera aura tout ce qu’il voudra et ne pourra rien désirer que de bon. Là se trouve, en effet, la source de vie dont nous devons à présent avoir soif dans notre prière, tant que nous vivons dans l’espérance et sans voir encore ce que nous espérons, protégés que nous sommes par les ailes de celui vers qui monte tout notre désir d’être enivrés de l’abondance de sa maison et de boire au torrent de ses délices. Car près de lui “est la source de vie, et dans sa lumière nous verrons la lumière” quand nos désirs seront comblés et que nous n’aurons plus rien à chercher en gémissant, mais que nous posséderons dans la joie.

Cependant, comme ce bien unique est la paix qui surpasse tout entendement, même quand nous le demandons dans notre prière, nous ne savons pas prier comme il faut. Puisque nous ne pouvons le penser tel qu’il est, c’est donc que nous ne le connaissons pas ; et puisque nous rejetons, refusons et réprouvons tout ce qui se présente à notre pensée, nous savons que ce n’est pas ce que nous cherchons, même si nous ne connaissons pas encore ce que sera ce que nous cherchons.

Il y a donc en nous ce que j’appellerais une sorte d’ignorance savante, mais instruite par l’Esprit de Dieu, qui vient en aide à notre faiblesse. Car, après avoir dit : “Si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons avec patience”, l’Apôtre ajoute : “Nous ne savons pas ce que nous devons demander, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables. Et celui qui scrute les cœurs connaît l’aspiration de l’Esprit : il sait qu’il intercède pour les saints”. Ceci ne doit pas s’entendre de façon à nous faire croire que l’Esprit Saint de Dieu, qui est Dieu immuable en la Trinité et un seul Dieu avec le Père et le Fils, intercède pour les saints comme quelqu’un qui ne serait pas Dieu. On dit qu’il prie pour les saints parce qu’il fait prier les saints. Le Saint-Esprit les fait donc prier par des gémissements ineffables en leur inspirant le désir de ce grand bien encore inconnu que nous attendons avec patience. Comment parler en effet, quand on désire ce qu’on ignore ? Si nous l’ignorions complètement, nous ne pourrions certes pas le désirer ; et en revanche, si nous le contemplions, nous ne le désirerions plus et ne le chercherions pas en gémissant.

 Lettre 130 (à Proba), 26-28 : PL 33, 505-506.