Isaïe 42, 1-7 Jean 12 1 11
C’est stupéfiant ! Un jour à Béthanie, Jésus prend un repas avec Lazare, un mort qu’il a remis en vie. Informé, le monde des officiels juifs est pris de panique : ils décident de faire mourir Jésus… et aussi Lazare. Son existence est une menace pour la foi juive.
Tous ces agités se disent au service de Dieu. En fait, ils ont oublié un trait du portrait type du serviteur décrit par Isaïe : « il ne hausse pas le ton », Il ne cherche pas à se mettre en valeur.
On peut penser qu’Isaïe a fait le portrait idéal du peuple élu : fidèle à Dieu et ouvert au monde. Mais la justesse d’une cause se mesure à la modération de ceux qui la défendent.
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Au repas de Béthanie, une femme, Marie est venue avec une livre de parfum de grande valeur. Elle le répand sur les pieds de Jésus. De l’argent perdu ? Non ! La présence de Jésus a fait sauter le bouchon du flacon ! Toute la maison est embaumée.
Il y a dans nos vies des parfums qui restent prisonniers. Si on faisait sauter le bouchon, l’atmosphère deviendrait agréable à respirer. Quel parfum dans nos vies confinées ?
L’action du Christ Serviteur est subtile, pénétrante comme un parfum.
Jean 12 1-11
L’onction du Roi
« Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare qu’il avait ressuscité des morts. On lui offrit là un repas. Marthe servait. Lazare était l’un des convives… » (12, 1 2). C’est une petite fraternité réunie autour du Seigneur. « Alors, Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux ; la maison s’emplit de la senteur du parfum. » (12, 3). Ce geste gratuit, proche du gaspillage, est interprété par Judas en termes utilitaires (12, 5). Le parfum répandu sur le sol en pure perte désigne un mystère profond. L’homme a besoin de gratuité ; sans elle, la vie est impossible. Or, le Christ est une gratuité inutile : il aime sans raison et veut nous entraîner dans le même amour gratuit. Le geste de Marie fixe l’attention sur la valeur divine, disons universelle, de cette action, car elle s’est répandue dans le monde entier.
L’amour n’est pas utile. De ce fait, il devient indispensable. Seul comprend celui qui discerne dans l’amour désintéressé une béatitude. Se donner en ne donnant rien d’autre que sa pauvreté, dans la conviction qu’il n’y a rien de mieux à faire. Ce mystère dépasse la raison. Dieu seul peut le faire pressentir à qui se convertit. Fixer son existence dans cet amour rend le monde respirable.
Toutefois, par ce geste au seuil de la Passion, Marie se situe dans l’amour : celui ci commence là où elle a tout abandonné pour n’avoir plus rien d’autre à donner que sa propre personne. Tant qu’elle peut donner des choses, elle entretient l’illusion de l’amour, à moins que ce ne soit là une approche de la voie royale. Qui n’a plus rien que son propre coeur à partager est riche de la présence très humble qu’il apporte. Il entre dans la voie de l’amour. Il brise son coeur comme un vase de parfum aux pieds du Seigneur. Il n’a plus rien d’autre à mettre à sa disposition.
A Judas, tenté de distraire ce sens au profit d’autres besoins légitimes, à moins que son manque d’honnêteté n’en soit l’origine (12, 6) Jésus répond : « Laisse la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours » (12, 7 8). Le grand Pauvre est Jésus Christ. Le pauvre, c’est aussi le frère que je rencontre sur mon chemin. Il a moins besoin de choses que d’une présence. Et même, un pauvre qui se donne est plus utile qu’un riche qui donne. C’est pourquoi l’Évangile nous avertit : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ». Bienheureux ceux qui sont pauvres, car ils rencontreront la joie suprême de partager ce que Dieu a déposé dans leur cœur.
Une ombre, autre que la présence de Judas « qui allait le livrer » (12, 4), plane sur le récit. C’est la mort, symbolisée par Lazare. Sa résurrection a mis le comble à la haine des Juifs, parce que beaucoup d’entre eux s’en allaient à cause de lui et croyaient en Jésus (12, 11). Signe du Christ, il entre dans un véritable chemin de Croix. Il porte, lui aussi, le fardeau de la haine. Le mystère de l’amour et de la mort sont ici intimement mêlés. Lazare est entraîné sur le chemin d’une mort dont l’issue sera bientôt l’accès au Père, et non le retour au shéol.
Par sa présence insistante, Lazare vient en quelque sorte au secours du Christ. Il fait apparaître que le récit de sa résurrection n’est pas une parabole mais un signe réel il s’est passé quelque chose. Jésus mourra, non pour s’être identifié à la « résurrection » (11, 25), mais pour l’avoir signifiée de façon indubitable à quelques personnes. Sa puissance sur la mort provoque de façon étrange sa propre mise à mort.