Samedi 26 janvier 2019

Journée d’accueil des voisins et amis du monastère.

Fêter des fondateurs, rendre hommage à des hommes qui ont osé une aventure spirituelle et humaine c’est reconnaître l’importance de ce qu’ils ont fait non seulement pour eux-mêmes mais aussi et surtout pour l’Église et la société.
Quand ils ont vécu il y a 900 ans et que ce qu’ils ont voulu mettre en œuvre pour vivre l’Évangile est toujours d’actualité, ne peut que nous impressionner : leur message qu’ils nous ont légués est toujours source d’inspiration. Ils ont voulu vivre l’Évangile avec une certaine radicalité. Tout au long des siècles des hommes et des femmes ont voulu suivre Jésus, devenir ses disciples, c’est-à-dire conformer leur vie à celle de Jésus parce qu’ils ont saisi dans leur cœur que Jésus est vraiment chemin de vie qui conduit à Dieu, qui donne le vrai sens de la vie humaine créée par Dieu. Cela est vrai pour tout chrétien qui se veut disciple de Jésus et donc aucun passage de l’évangile n’est réservé à l’un plus qu’à l’autre.
Le dialogue de Jésus avec ses disciples que nous venons d’entendre suit celui qu’il vient d’avoir avec un homme qui lui demande « Bon maître que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? ». Voilà la question qu’un jour ou l’autre tout le monde se pose : comment être heureux ? Comment réussir sa vie ?
Jésus lui demande s’il observe les commandements de la Loi. A son affirmation il est dit que Jésus l’a alors regardé avec tendresse : « Jésus le regarda et s’éprit à l’aimer », dit Marc et il l’invite à le suivre sur les routes des Galilée et de Judée sans rien. Mais cet homme se retire de devant Jésus car il était riche, dit l’évangile. Et Jésus de réagir : « mes enfants qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu », c’est-à-dire de modeler sa vie sur ce qu’est vraiment Dieu, sur ce qu’est vraiment l’homme. « Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans ce Royaume de Dieu que je viens vous donner et qui est l’accomplissement de vos vie » : Quelles paroles de tendresse de la part de Jésus mais aussi quelle souffrance… devant la fermeture à ce qu’il vient offrir aux hommes.
Les disciples qui suivent Jésus sont atterrés par cette remarque de Jésus car évidemment cela bouscule la générosité qu’ils ont à suivre le maître  : « alors qui peut être sauvé », quel sens a notre vie de te suivre si nous ne sommes pas assurés de notre salut, c’est-à-dire si tout ce que nous faisons pour Dieu et pour te suivre ne nous assure pas la vie éternelle ?
Comme pour l’homme Jésus regarde ses disciples, il les regarde avec tendresse et miséricorde. Il les regarde avec le regard de Dieu le Père qui les a créés et qui les appelle a le suivre pour recevoir la vie, pour entrer dans les secrets du cœur de Dieu. Et de les déstabiliser encore plus par cette parole si étonnante :
« Aux hommes c’est impossible de se sauver, mais pas pour Dieu car tout est possible à Dieu ». Nous avons-là l’essentiel de la Bonne Nouvelle que Jésus est venu nous révéler : le salut, la santé, la vie, ne sont pas entre les mains des hommes malgré tous leurs efforts d’en prendre le contrôle. La seule chose que l’homme peut faire est de recevoir la vie, la santé, le salut. Le travail de l’homme est de se mettre dans les dispositions qui permettront que la santé soit rétablie, que la vie soit respectée et protégée. Le seul pouvoir de l’homme, si j’ose dire, est d’abîmer sa santé, de détruire la vie. Le reste vient d’ailleurs.
Ce que le Seigneur Jésus propose à ceux qui choisissent de devenir ses disciples, à ceux qui se mettent à son école, n’est pas d’accomplir des choses pour elles-mêmes pensant que leur accomplissement va réaliser leurs désirs mais de se laisser regarder par Jésus, de se laisser regarder par le cœur bienveillant et miséricordieux du Père, comme nous le dit ce passage de l’évangile. Il est très important de remarquer que c’est précisément dans ce contexte que chacun des trois Évangiles place la promesse du centuple faite par Jésus à ceux qui ont tout quitté pour le suivre. Le message est que tout est grâce; tout est œuvre de Dieu.
Une vie de détachement et de pauvreté radicale, si généreuse et authentique soit-elle, ne peut mériter la vie éternelle. Tout est grâce, c’est-à-dire don gratuit et bienveillant. La santé est à accueillir, la vie est à accueillir puisque que nous les recevons, puisque notre travail est de les retrouver si elles nous font défaut. Dans cette perspective il est inutile de posséder beaucoup de richesses pour les acquérir, il suffit de se mettre dans cette attitude de celui qui ne cesse de recevoir les bontés de Dieu qu’il ne cesse de vouloir nous donner : tout est possible à Dieu.
Nous célébrons aujourd’hui la mémoire de trois grands moines qui, avec leurs compagnons, en répondant à l’appel du Seigneur, ont donné naissance, au sein de la grande famille monastique, à un courant spirituel qui est parvenu jusqu’à nous, et à travers lequel nous avons tous, moines, reçu notre vocation. Chacun d’eux était en quelque sorte cet homme riche. Depuis le début de leur existence monastique, ils s’efforçaient d’observer tous les préceptes et chacun d’entre eux pouvait dire à Jésus: « tout cela je l »ai observé depuis ma jeunesse » . Alors Jésus posa sur eux son regard et les aima. Il les appela à une pauvreté plus radicale: à renoncer à la sécurité de la grande tradition monastique dont ils étaient issus et à se lancer dans la pauvreté radicale d’une nouveauté dont personne ne pouvait savoir si elle avait ou non des chances de réussir. Ils s’y sont engagés avec confiance parce que « rien n’est impossible à Dieu ».
Une petite phrase de la Lettre aux Hébreux exprime fort bien l’essence de la vie monastique, si bien vécue par nos saints Fondateurs mais qui concerne aussi chacun d’entre nous :  « ils sont à la recherche d’une patrie ». Puissions-nous rester toute notre vie des hommes de désir – désireux de nous laisser saisir plus pleinement par Celui qui nous a déjà saisis, de nous laisser transformer plus pleinement par celui qui nous a déjà créés à son image et reconfigurés à l’image de son fils par le baptême, de nous laisser introduire au plus profond de sa demeure qui n’est autre que sa vie trinitaire intime.

Dom Gérard Meneust, abbé