Actes des Apôtres 4, 8-12               1 Jean 3,1-2          Jean 10,11-18

 

Tant que la mise en croix a été le supplice infligé aux grands délinquants, les premières générations de chrétiens n’ont pas eu l’idée d’accrocher un crucifix aux murs de leur appartement. Pour souligner l’action de Jésus, telle qu’elle se donnait à voir en son temps, elles ont retenu une parole rapportée par Jean : « Moi, je suis le Bon Pasteur, le vrai berger. » On peut accepter ce choix et aussi s’en étonner.

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On n’imagine pas un berger sans troupeau, ni un troupeau sans berger.

Dans la mentalité des générations d’autrefois, la prospérité d’un troupeau révélait la bienveillance de Dieu, en même temps que la compétence du berger. Un troupeau  malade ou dispersé fait douter  de l’attention de Dieu et ne fait pas honneur au berger.

 

Mais en accueillant l’image du Bon Pasteur, il ne faut pas se laisser prendre par la poésie de la campagne par beau temps. Ce serait oublier les conditions de travail des bergers. Aujourd’hui comme autrefois, ils sont affrontés aux dégâts causés par les prédateurs.

 

De tous temps, les bergers ont dû avoir une compétence professionnelle reconnue. Cette compétence ne suffisait pas à les situer socialement d’une façon honorable.

Ils étaient déclassés. Exerçant leur métier souvent seuls, n’étant au contact, la plupart du temps, qu’avec des bêtes, dans des conditions de vie et d’hygiène précaires, ils étaient à la marge de la société. Le judaïsme du 1er siècle les considérait comme religieuse-ment impurs.

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Pour manifester son souci d’être consciencieux dans l’exercice de sa mission, Jésus aurait pu se référer à son expérience personnelle de charpentier dans l’atelier de Nazareth. Un charpentier rend service à ceux qui sont en recherche d’un toit pour s’abriter. Travailler pour que les gens soient convenablement logés est utile et honorable.

 

Il y a un temps pour se fixer, et un temps pour  s’aventurer au large. Un charpentier, enraciné dans son village et dans sa clientèle, peut se sentir sécurisé dans un espace bien circonscrit.

Jésus a préféré se référer à une image qui évoque un peuple qui bouge, qui se construit dans une certaine insécurité. Tout troupeau a sa bergerie sécurisée mais il n’y reste pas. Aller de pâturage en pâturage est un risque et une nécessité pour vivre. C’est le berger qui décide d’aller là où bon lui semble.

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Au cours de l’Histoire du Peuple de Dieu, des responsables se sont conduits comme de vrais bergers soucieux de leur peuple. D’autres ont été négligents. Il est arrivé que le troupeau qui leur était confié a été victime de leur incompétence et de leur négligence.

Exilé en Chaldée, le prophète Ézéchiel s’en est pris aux dirigeants qui ont con-duit le peuple au désastre de l’Exil ; « Vous n’avez pas ramené la brebis égarée ; vous n’avez pas cherché celle qui était perdue. » (Ez. 34,4),

 

« Moi, je suis le bon pasteur le vrai berger… Je donne ma vie pour mes brebis.. »

Jésus ne fait qu’un avec son peuple. Il travaille à son épanouissement en lui faisant traverser des situations périlleuses.

 

Remarques :

* Tout maître a d’abord été élève. Tout conducteur a été d’abord conduit. Tout berger a d’abord été brebis. Jésus n’était pas à son compte. Il est venu sur terre, envoyé par son Père, pour être initié à la condition humaine dans une famille concrète.

* Aujourd’hui comme autrefois, toute brebis est appelée non pas à prendre la place du berger mais à partager sa responsabilité. Peut-on prendre le risque de dire que Jésus ne travaille jamais dans la précipitation et l’urgence. Il choisit aujourd’hui ceux qui, dans les années à venir, partageront sa charge de pasteur. Jour après jour, il les forme pour qu’ils soient en mesure de faire face aux difficultés qu’ils devront affronter.

 

– Peut-être l’ai-je déjà dit. Notre Pape François est né dans une famille italienne  émigrée en Argentine et il se trouve que l’émigration est un des problèmes de notre temps. Il pourrait arriver qu’un pape, dans 50 ou 60 ans, soit aujourd’hui un gamin repêché en Méditerranée et refoulé de frontière en frontière.

– A longueur d’années, des adultes ayant découvert Jésus Christ demandent le baptême. Naturellement, il y a toujours une personne dans l’Église pour assurer le secrétariat et enregistrer quelques renseignements classiques: Nom ? Prénom ? Profession ? Domicile ? Réponse : « Pas de domicile fixe ! » Le parrain pourra peut-être le dépanner ! Pas sûr ! Son domicile ? La rue ! La personne qui enregistra ces  renseignements traversa quelques instants de perplexité.

Pourrions-nous vérifier la pertinence de nos réflexes ? On imagine que les gens qui deviennent chrétiens aujourd’hui doivent connaître une certaine stabilité sociale et finir par nous ressembler. Et si nous étions appelés à vivre notre foi dans un peuple en perpétuel déplacement !

L’Église nous invite aujourd’hui à prier pour les vocations. Instinctivement, nous prions pour avoir des prêtres qui nous conduisent selon nos repères, pour que les choses se passent comme avant.  Peut-être, faut-il changer de lunettes. Chacun est le point de mire d’un appel. Ce n’est pas la brebis qui va dire au berger ; c’est là que je veux aller. On peut se laisser interpeller par une parole de Paul :

« Laissez-vous guider intérieurement par un esprit renouvelé » (Ep. 4,23).

Ce que Dieu veut construire en chacun demande notre adhésion. Chaque réponse est attendue. Elle contribue à la naissance d’un monde nouveau.