Avec Elian Cuvillier, « L’évangile de Marc » (Labor et fides) p. 99
Sagesse 1, 13-15 et 2, 23-24 – 2ème aux Corinthiens 8, 7, 9,13-15 – Marc 5, 21-43
A-t-on quelquefois mesuré la place que prend la mort dans les médias ? Chaque jour, on parle de guerres, d’attentats, de meurtres ici ou là dans le monde.
Les médias nous parlent aussi du décès de telle ou telle personnalité, des victimes de séismes, d’accidents de la route (déjà 8 tués en Mayenne) Et combien de lecteurs lisent d’abord, dans le journal, la page des obsèques pour repérer un nom connu. Dans les lectures de ce matin, la mort occupe aussi une bonne place.
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La première est tirée du livre de la Sagesse, un livre écrit à Alexandrie en Égypte quelques dizaines d’années avant Jésus Christ. L’auteur, un juif, dialogue avec la culture grecque sans rien renier de sa foi.
Depuis qu’il y a des hommes sur terre, la mort est à l’œuvre. Si elle n’épargne personne, Dieu reste la source de la vie, une vie qui, en lui, s’appelle amour. Il veut cette vie pour les êtres qu’il a créés à son image.
S’ajuster à Dieu, ou plutôt se laisser ajuster par Dieu à sa vie, permet de traverser la mort. Si elle est un fait, elle n’est pas l’œuvre de Dieu. On peut réentendre la conviction tranquille de l’auteur du livre de la Sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants…. La puissance de la mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. ».
Pour ceux qui croient en la parole de Dieu, la mort n’est pas une dégringolade dans le vide absolu ; elle est un passage. Mourir, c’est changer de rive. Et justement dans l’évangile, des passages d’une rive à l’autre apparaissent sous des formes diverses.
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Le chapitre 5 de l’évangile de Marc présente Jésus au bord de la mer, en Galilée. Il entreprend de passer sur la rive d’en face pour accoster en terre païenne. A peine
débarqué, il est abordé par un homme qui habite les tombeaux. La mort est son univers familier. Manipulé par toutes sortes d’esprits mauvais, il est devenu comme un objet.
L’arrivée de Jésus bouleverse son univers : « Que me veux-tu, Jésus ? » Prononcer le nom de quelqu’un, c’est avoir une prise sur lui. Quand on entend notre nom quelque part, on dresse l’oreille ! En guise de réponse, Jésus lui demande son nom : « Légion ! » « Jésus le libère. » Après avoir fait passer cet homme de la déraison à la rai-son, Jésus revient sur la rive de départ en Galilée.
On ne sait pas s’il avait un projet pour occuper sa journée, toujours est-il que la foule est là sur la plage, peut-être pour l’écouter. Mais Jésus ne pourra pas prendre la parole.
Il est abordé, cette fois, par un chef de synagogue, Jaïre, affolé par la situation de sa fille de 12 ans qui est en train de mourir. Il a tout essayé sans résultat. D’une certaine manière, il est, comme sa fille, enfermé dans le malheur. Que Jésus fasse quel-que chose ! « Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus se laisse convaincre. Il accompagne Jaïre suivi par la foule.
Dans cette foule, se trouvait une femme qui avait des pertes de sang depuis 12 ans. Les médecins ne pouvant rien pour la guérir, elle se faufile pour approcher Jésus et
risque un geste très simple: « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je se-rai sauvée. » Elle veut exister autrement. Elle réussit son coup et ressent à l’instant un bien-être. Guérison sans parole ! Jésus lui aussi a ressenti quelque chose. Qui a touché son vêtement ? L’anonymat, c’est raté ! Elle se présente confuse mais Jésus la rassure, « Ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Socialement, tout sépare Jaïre, chef de synagogue et cette femme anonyme. L’un souffre de ce qu’il a et ne veut pas perdre, sa fille ; l’autre souffre de n’être rien. Chacun se débat dans son impasse. La femme n’a pas dit un mot mais elle a acquis une nouvelle identité. Elle a changé de rive.
Jésus parlait encore que des gens arrivent pour annoncer à Jaïre le décès de sa fille. A quoi bon déranger Jésus ! Mais Jésus ne se contente pas de faire seulement la moitié du chemin. Avec Pierre, Jacques et Jean, il arrive à la maison.
Le rituel funéraire classique se déroule : cris et pleurs ! Jésus réagit mais on se moque de lui si bien qu’il met tout le monde dehors ! Ambiance ! En présence de l’enfant, Jésus dit simple-ment : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! Aussitôt, la jeune fille se leva et se mit à marcher. » Jésus demande de ne pas ébruiter l’événement ! On en parle encore !
Quelques remarques
* Dans ce récit, il est question de deux femmes, l’une, malade depuis 12 ans, l’autre âgée de 12 ans. C’est l’âge de la puberté qui en fait une femme mariable à l’époque.
* Dans les deux cas, ces femmes sont mortes puisque la femme atteinte d’hémorragie est socialement et religieusement exclue de la société.
* Dans les deux cas, la guérison consiste en une réintégration sociale. Elles ont fait un passage qui les a fait changer de rive. Dans notre relation à Dieu, nous traversons des passages difficiles. Un psaume dit ceci : « Les paroles du Seigneur sont des paroles pures, argent passé au feu, affiné sept fois » (Ps 11, 7). Là où Jésus passe, il se passe quelque chose ! Les passages avec Jésus ne sont pas des promenades.
Boëton