Matthieu 26, 17-35

LES DERNIERS JOURS commentaire de  Zharnt

CELUI QUI PARACHÈVE LA FOI

Tandis que les disciples ne comprennent toujours pas et pensent au plus pressé, une simple femme, une inconnue, a reconnu quel chemin de croix attend Jésus. C’est à la lumière de son geste que commence maintenant la dernière étape de ce chemin.

Le geste de Judas offre un contraste frappant avec celui de la femme. Tandis que celle-ci, une inconnue, prépare Jésus à mourir, Judas, le disciple, concourt à sa mort. De lui aussi on se souviendra et on parlera, tant que l’évangile sera proclamé dans le monde. Judas vient de Kerioth, d’où son surnom : « Iscariote » ; c’est un juif convaincu, un patriote passionné. Il a à cœur les affaires de Dieu et de son règne, mais, à l’inverse de Jésus, il a pris parti pour l’espérance messianique nationale et aspire à la libération de son peuple – par la violence – du joug des Romains païens. D’abord il n’a pas compris Jésus, ensuite il a été déçu par ses hésitations et enfin il a perdu patience.

Tout cela a fait du disciple un adversaire.

Le conflit s’aggravant à Jérusalem, Judas cherche à sortir Jésus de sa passivité apparente et le forcer à agir. Il ne veut pas anéantir Jésus, mais seulement le gagner à ses vues : il est temps que Jésus dévoile son secret messianique et se mette à la tête de l’insurrection contre les Romains !

C’est pourquoi Judas ne se tourne pas non plus vers le gouverneur romain, mais s’adresse à la plus haute autorité juive, le Grand Conseil. A ce dernier, il propose une bonne occasion pour faire arrêter Jésus discrètement. C’est ainsi qu’il le livre à ses adversaires 11. Contents de cette proposition, les prêtres lui offrent une récompense. On ne saurait, pensent-ils, faire pareille chose sans rémunération. Pour Judas, ce n’est pourtant pas d’abord une question d’argent mais de conscience. D’ailleurs, c’est une somme dérisoire qu’on lui propose. Trente pièces d’argent, c’est exactement le dédommagement versé à autrui quand un esclave a tué son bœuf.

LES DERNIERS JOURS

Judas Iscariote est une personnalité obscure, impénétrable, presque inquiétante. Dans son acte se concentrent vraiment la question insoluble de la puissance du mal face à la toute-puissance de Dieu et la question de la liberté humaine face à la volonté et au plan divin. La communauté chrétienne a vu dans l’énigme humaine un mystère divin : Judas a été l’instrument de Dieu, un instrument indocile, à vrai dire, puisqu’il a trahi consciemment. Ainsi a-t-il trempé dans la faute et fini seul dans le désespoir.

Le Grand Conseil a décidé la mort de Jésus et s’est entendu avec Judas pour exécuter la sentence ; tout est désormais suspendu à la libre décision de Jésus -quand il sera prêt- de se livrer aux mains de ses ennemis.

Alors Jésus, la veille de la Pâque, se met en route et, de Béthanie à Jérusalem, parcourt la dernière étape de son chemin, de sa vie. Mais avant qu’on ne le sépare de ses disciples, il ressent le besoin de partager avec eux un repas de fête. Aussi en envoie-t-il deux en éclaireurs, chercher à Jérusalem une salle pour le groupe. Ils en trouvent une dans la ville pourtant archi pleine, à l’étage d’une maison, et ils la préparent pour le repas commun. Le soir, Jésus s’y rend avec ses disciples.

Ce n’est pas un repas habituel qui a lieu ce soir et pas non plus un repas d’adieux ordinaire. Même si ce n’est pas le repas de la Pâque, cette soirée est pourtant entièrement marquée par la journée du lendemain, qui verra les juifs fêter la Pâque et Jésus mourir. Le dernier repas en commun porte la signature de ces deux événements et devient un acte symbolique.

De même que le repas de la Pâque rappelle la sortie d’Égypte et donc l’alliance de Dieu avec son peuple, la Cène signifie, elle aussi, la fondation d’une nouvelle alliance 12.

En signe de cette alliance, Jésus prend l’une des galettes, sur laquelle il prononce comme de coutume la bénédiction, il la rompt et la tend à ses disciples en disant: « Prenez, ceci est mon corps ! » De même, après le repas, il prend une coupe, rend grâces et la fait passer en disant: « Buvez en tous; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance qui va être répandu pour une multitude. » Ce faisant, il élève leur regard vers la souveraineté définitive de Dieu: « En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je boirai avec vous le vin nouveau dans le royaume de mon Père. »

Ainsi le geste et la parole de Jésus font des disciples une nouvelle communauté. Unis entre eux et avec lui autour de cette table, ils le resteront même par-delà la mort de Jésus. Voilà le testament de Jésus à sa communauté de disciples; c’est aussi la nouvelle alliance de Dieu avec tous les hommes.

Malgré sa trahison, Judas aussi prend part à la Cène; il est assis avec les autres à table. Pendant qu’ils mangent, Jésus annonce sa trahison, sans le nommer cependant. Il dit seulement ; « L’un de vous me livrera, un qui mange avec moi. » Effrayés, les disciples demandent chacun son tour : « Serait-ce moi ? » Pas un n’est sûr de soi.

La réponse de Jésus à l’interrogation des disciples est obscure: « C’est l’un de vous qui plonge la main avec moi dans le même plat. » Mais il ne dit toujours pas qui, il ne dénonce pas Judas et renvoie à la volonté de Dieu : « Oui, le Fils de l’Homme s’en va selon ce qui est écrit de lui ; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’Homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître! » Jésus n’exclut pas le traître de la communauté des disciples. C’est Judas lui-même qui se condamne et sort dans la nuit.

Après le repas et le chant des psaumes, Jésus et ses disciples quittent la ville et, traversant la vallée du Cédron, se rendent au mont des Oliviers. En chemin, il leur annonce que cette nuit même ils vont être déconcertés à cause de lui. «Je frappera le pasteur et les brebis seront dispersées », dit-il, citant le prophète Zacharie. Jésus va finalement se retrouver tout seul face à sa souffrance. Mais -Zacharie ne le dit pas- la communion avec ses disciples ne cessera pas. Il y aura un nouveau départ. Après la dispersion, le troupeau de nouveau se rassemblera.

Devant cette annonce de Jésus, les disciples se récrient : ils ne vont pas reculer. Pierre surtout, toujours premier à ouvrir la bouche, rassure Jésus: « Même si tous les autres tombent, pas moi! » Il se regarde, regarde sa foi, il est immunisé contre toutes les tentations et c’est lui qui tombera le plus bas.

Jésus l’avertit : « En vérité, je te le dis, toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois 13. » Et pourtant Pierre, une fois encore, proteste passionnément de son dévouement : « Dussé-je mourir avec toi, non je ne te renierai pas ! » Et tous les autres disent de même. Ils vont bientôt voir à quel point ils se trompent.

Jésus conduit ses disciples dans un bosquet d’oliviers, Gethsémani, au lieu-dit « Le Pressoir ». C’est là déjà qu’il s’est retiré dans le silence, ces derniers jours, pour être seul avec ses disciples, loin du bruit de la fête. Cette fois, il les laisse, eux aussi, et n’emmène que les plus proches : Pierre, Jacques et Jean.

Maintenant que le bout du chemin est là, qu’il n’y a plus d’issue possible, Jésus craint pour sa vie et la peur de la mort le submerge : « Mon âme est triste à en mourir » , dit-il à ses disciples et il les prie de rester là et de veiller; lui s’éloigne de quelques pas. A un jet de pierres environ, il se jette à terre et prie : « Abba, Père, tout t’est possible. Que cette coupe s’éloigne de moi ! Mais non pas comme je veux, mais comme tu veux. »

Ce n’est pas la prière d’un héros divin ou d’un surhomme au-dessus de la détresse, que la souffrance n’atteint pas; c’est un homme torturé par la peur, tremblant, qui souffre la volonté de Dieu jusqu’au plus profond de lui-même.

CELUI QUI PARACHÈVE LA FOI

Dans sa détresse Jésus supplie Dieu, tout en recherchant la présence des humains. Mais ses disciples l’ont lâché. Lorsqu’il revient vers eux, il les trouve endormis. Ils sont las de la tension intérieure des derniers jours et pleins d’incertitude face aux heures qui viennent. Déçu, Jésus demande à Pierre: « Tu dors ? Tu ne peux pas veiller une heure avec moi ? » Et il s’en va de nouveau pour prier encore.

A son retour, les disciples dorment toujours ; la question de Jésus les laisse sans réponse. Ils l’ont déjà maintes fois mal compris, mais, à présent, ils ne le comprennent plus du tout, il est trop loin d’eux. Aussi Jésus s’éloigne-t-il encore et prie une troisième fois.

Alors, avec l’aide de Dieu, il surmonte le combat. Se pliant a la volonté de Dieu, il est prêt à aller jusqu’au bout du chemin tracé pour lui. Épuisé comme après une lutte, il revient à ses disciples et leur ordonne de se lever: « C’en est fait, l’heure est venue ; voici que le Fils de l’Homme va être livré aux mains des pécheurs. Allons, levez-vous ! Celui qui le livre est tout proche.»

A peine Jésus a-t-il fini de parler que Judas arrive avec une bande de soldats conduits par leurs chefs. Le Grand Conseil leur a ordonné d’arrêter Jésus. Pour cette raison, quelques membres du Conseil, prêtres, scribes et anciens, sont également venus.

Judas s’approche de Jésus et le salue d’un baiser, signe convenu pour que les soldats sachent qui arrêter. Lorsqu’ils saisissent Jésus, l’une des personnes présentes prend son glaive et coupe l’oreille de l’un des serviteurs. Aussitôt, avant qu’on en vienne aux mains, Jésus intervient. Il demande à l’homme de remettre son épée au fourreau et, s’adressant aux envoyés du grand prêtre : « Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons ? Alors que chaque jour j’étais avec vous dans le Temple, vous n’avez pas posé la main sur moi 15. »

LES DERNIERS JOURS

En réalité, le Grand Conseil aurait pu se simplifier la tâche. Mais son intention est claire : il voudrait donner à l’arrestation de Jésus une apparence politique. D’où cette mobilisation, comme s’il s’agissait de cueillir secrètement un groupe de conspirateurs messianiques ; mais Jésus n’a pas le moins du monde donné prise à un tel soupçon. Il n’est pas zélote et ne prétend pas non plus être le Messie. Il n’a absolument pas poursuivi de but politique, mais suscité un mouvement de foi.

C’est pourquoi il renonce maintenant à toute violence et se livre sans défense, comme il l’a lui-même enseigné. Quant à ses disciples, ils s’en tiennent à la devise: « Sauve qui peut ! » Ils abandonnent leur maître pour fuir dans la nuit.

A partir de ce moment, Jésus est définitivement seul. Au début, il a toujours été entouré de beaucoup de gens et puis ils ont commencé à se détacher de lui. Alors sont restés les Douze, dont un traître, et, finalement, trois proches seulement, qui à leur tour n’ont pu veiller avec lui tandis qu’il priait dans l’angoisse de la mort. Maintenant, il n’a plus personne, hormis Dieu seul.

 

  1. Mt 26,14 16 ; Mc 14,10 ; Lc 22,7 20.
  2. Mt 26,17 29 ; Mc 14,12 35 ; Lc 22,7 20.
  3. Mt 26,30 35 ; Mc 14,26 31; Lc 22,31 34.
  4. Mt 26,36 46; Mc 14,32 42; Lc 22,40 46.
  5. Mt 26,47 56 ; Me 14,43 52 ; Lc 22,47 53.