A propos des lectures de ce 22e Dimanche.
Jérémie 20, 7-13
En prolongeant la lecture jusqu’au verset 12-13 la situation du prophète semble s’éclairer et s’ouvrir. Les prophètes ne sont pas des surhommes et ont eu de tout temps la vie dure. C’est ce qui explique certainement qu’ils se font rares ou qu’ils sont pris par le découragement, tant l’opposition rencontrée est grande. Mais le prophète est un homme tellement passionné, pris par l’amour de Dieu qu’il ne peut pas ne pas parler. C’est quelqu’un qui semble aller à contre-courant de son temps ; alors qu’il le devance car il voit déjà au-delà. Sa parole salutaire n’étant pas facile à entendre, même si l’on en reconnaît la justesse, provoque le rejet voire même la persécution. C’est le combat de la foi, combat intérieur de tout-quiconque vit une relation d’intimité avec Dieu. A un moment ou l’autre, il a l’impression d’être abandonné, mais plus encore d’avoir été trompé, « floué » pour utiliser une expression d’aujourd’hui. C’est le débat intérieur d’un homme qui entend demeurer fidèle à Dieu, à sa mission.
Le témoignage de Jérémie nous avertit que le désenchantement ne guette pas moins les plus lucides des prophètes et les plus engagés. Ce prophète apparaît comme un homme solitaire. Avec Osée, confronté qu’il est à l’incompréhension et à la malveillance dont il se sent l’objet, il est le seul à se livrer personnellement dans ses écrits. Face à l’obstination déterminée de ses contemporains Jérémie en arrive à se poser des questions, à douter, « à quoi bon puisqu’ils refusent ». Ne s’est-il pas trompé ? « Dans cette confession Jérémie reproche à Dieu d’avoir profité de sa bonne volonté, sa disponibilité. Dans un moment de déprime, il tient des propos aux accents blasphématoires, il reconnaît qu’il a été séduit par Dieu comme une jeune fille et qu’il ressent amèrement les conséquences de cet amour auquel il a consenti. Il n’imaginait sans doute pas que son engagement l’entraînerait si loin, aurait de telles conséquences. Il connaît la déception, l’échec, la moquerie de la part de ses concitoyens. Il proteste et le dit à Dieu Mais il doit finalement prendre conscience que sa vocation le dépasse de toute part. Il prophétise depuis plus de vingt ans et il n’est toujours pas écouté. Il le ressent d’autant plus durement que l’amour de Dieu l’a pris au plus intime de son être. Il termine en révélant le secret, le mystère qui habite le prophète tenté de s’arrêter : « il y avait en moi comme un feu dévorant au plus profond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir. ».
Que veut dire ce texte pour nous aujourd’hui ? C’est tout le peuple des baptisés qui est prophète à son tour. Le Concile l’a rappelé : citons ce court passage de Lumen Gentium : « le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ : il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité »12
Romains 12, 1-2
Ces deux versets résument ce qu’est et doit être la vie du chrétien, une vie offerte à Dieu en sacrifice spirituel et une transformation intérieure qui permet à l’authentique disciple du Christ de discerner ce qui plait à Dieu et l’accomplir.
Paul vient d’en appeler à la miséricorde de Dieu, à l’amour de Dieu qui sera toujours le modèle auquel l’homme devra se référer. Voilà la vie chrétienne définie et comment la réaliser concrètement. C’est la miséricorde de Dieu qui résume tout ce qu’il a dit à propos de l’élection, de la justification, de la grâce et de la vie donnée par le Christ. La miséricorde de Dieu appelle une réponse. Il faut concrètement réaliser le don reçu : le don ne sera pleinement reçu que dans la mesure où on l’offre, où il est « donné », rendu, transformé spontanément, gratuitement, généreusement. Notons qu’on ne parle pas ici de sacrifice ni d’holocauste. Pas de culte sclérosé, mais un culte vivant ! L’expression prend le contre-pied du culte païen ou juif. Il suffit de relire Osée : « c’est l’amour que je veux et non les sacrifices, la connaissance de Dieu et non les holocaustes ». Rien qui ait référence au temple. C’est dans la miséricorde, à laquelle le sermon sur la montagne invite : « soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux », c’est dans cette miséricorde que s’enracine le culte, que l’homme manifeste à Dieu son offrande, son don. Rappelez-vous : « lorsque tu présentes ton offrande à l’autel et si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va te réconcilier avec lui ». Ce sera « votre culte spirituel » : il n’y en a pas d’autre sans doute. On n’est plus sous le régime des animaux offerts. Mais sous celui de la suite du Christ. Toute notre vie devient offrande de chaque instant, elle est ordonnée vers la charité, vers la miséricorde, vers l’amour à l’image de celle du Christ. Il ne s’agit pas seulement d’une invitation mais de la force d’une exhortation au nom de la tendresse de Dieu, afin que nous répondions à cette tendresse.
Les conséquences ? v. 2 : « ne vous laissez pas séculariser à outrance ». Veillez à ne pas absolutiser les valeurs du monde et à en faire le but de la vie. Le « monde présent » ce sont les forces qui empêchent l’épanouissement de la vie du baptisé. Allez à contre-courant. Le v. 2 insiste sur le changement dans lequel persévérer par rapport à l’« esprit du monde », en s’en démarquant pour entrer dans la nouveauté de l’évangile.
Matthieu 16, 21-27
Quel contraste entre l’évangile de dimanche dernier où Pierre avait affirmé : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant », avec la réponse de Jésus lui disant : « Heureux es-tu, Simon » et l’évangile d’aujourd’hui où Jésus annonçant sa passion cette fois dit à Pierre qui ne peut accepter cette issue : « Passe derrière moi Satan ». Jésus lui avait confié : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église », maintenant il le réprimande : «Tu es pour moi une pierre qui fait tomber». Comment comprendre un tel écart ? Malgré sa déclaration de foi fracassante Pierre prouve bien qu’il n’a pas pleinement saisi la portée de ce que le Père, l’Esprit, venait de lui révéler et que le mystère et la mission de Jésus le dépassent totalement. Il n’a pas encore vraiment saisi ni Jésus, ni le dessein de son Père. Il reste dans une vision encore bien humaine de la mission de Jésus. C’était un Messie puissant, conquérant qui écraserait les ennemis d’Israël et le libérerait de l’esclavage de l’occupant romain auquel il pensant et qu’attendaient les autorités juives d’alors.
Sa profession de foi n’est qu’un premier pas dans sa rencontre avec Jésus Fils de Dieu. Il lui reste à faire un passage, un déplacement, une conversion totale, radicale.
Pierre revient à ses vues bien humaines, il n’échappe pas à la tentation messianique du judaïsme qui attendait un messie triomphateur. La tentation de se tromper de messie n’épargne personne.
Seule l’union personnelle du disciple avec Jésus les unit dans un même service du Royaume. La voie dans laquelle Jésus voulait s’engager –celle de la croix et de la résurrection – n’est jamais acquise définitivement
Il avertit en ce moment que les disciples auront à assumer eux même leur propre croix, dans la mesure où ils prétendront marcher à sa suite, se mettre à son école. Que veut dire Jésus par «se renier soi-même » ?
Le désintéressement va jusqu’à l’oubli de soi en vue de vivre le don de soi en pure perte de soi, caractéristique de l’agapè, de l’amour de Dieu dont il s’agira de porter le témoignage. Vivre en témoin de l’agapè n’épargnera pas au disciple les contradictions : il s’agira de les assumer, de lever, porter sa propre croix. Porter sa croix avait du sens pour les auditeurs de Jésus qui avaient déjà vu des condamnés porter leur croix – le bois transversal – jusqu’à l’endroit où ils devaient être suspendus
Si Jésus meurt sur une croix, ce n’est pas parce qu’un Dieu sadique l’aurait exigé, c’est en raison d’une mystérieuse logique de l’amour. La Bonne Nouvelle : grâce à cette logique de l’amour, Jésus nous sauve et nous libère.
Le disciple n’est pas seulement celui qui se laisse enseigner par le Maître, mais celui qui marche résolument à sa suite. Et il ose marcher à sa suite, il a une certitude de foi, parce que son Maître est passé devant lui et que nous connaissons l’issue. C’est l’histoire de Pierre, la nôtre aussi.