3e poème du serviteur du Seigneur
Isaïe 50,4-7
4 Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute.
5 Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.
8 Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi !
9 Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? Les voici tous qui s’usent comme un vêtement, la teigne les dévorera !
A propos de cette lecture
Au seuil de la semaine sainte pendant laquelle l’Eglise nous révèle le cœur du mystère de Dieu, il est bon de vivre avec le Christ son mystère de mort-résurrection. Nous sommes invités à accueillir, pour en vivre, le témoignage d’amour que le Fils rend à son Père et tel qu’il l’a manifesté : martyrisé en raison de sa foi et de sa fidélité envers Lui. Son obéissance a provoqué le déchaînement de la violence, du mensonge, de l’hypocrisie.
Pour première lecture, en ce dimanche des Rameaux, la liturgie retient, au livre d’Isaïe, un des trois poèmes du Serviteur du Seigneur. Le chapitre 50 commence par une invitation à Israël, rejeté à cause de ses fautes, à écouter ce que le Seigneur va faire pour son peuple. On attendait un sauveur libérateur par la puissance et c’est un serviteur totalement désarmé que Dieu envoie dont la seule force sera sa confiance en Dieu qui le secoure. Ce poème du serviteur de Yahvé est « l’auto portrait du mystérieux serviteur » qui fait face à la violence, aux outrages et aux crachats.(v6)
Dans ce poème, le Serviteur présente la mission que le Seigneur lui a confiée : investi d’une tâche, d’une mission spirituelle pour le peuple de Dieu et les nations, il va rencontrer non seulement l’opposition mais l’hostilité croissante exprimée de poème en poème. « Le serviteur silencieux du première poème, épuisé et humilié du second, est maintenant un serviteur maltraité. » Cazelles. Mais c’est encore le Seigneur qui lui donne le langage des disciples, (v4) qui lui ouvre l’oreille,(v5) et est son secours (v7).
Ce jour nous commençons la lecture contemplative du troisième poème du Serviteur, appliqué ,dans le Nouveau Testament, à la personne de Jésus. Dans le premier chant d’Isaïe, le Serviteur silencieux « manifeste une douceur patiente. Il accepte le « vain travail dans le second en raison des difficultés rencontrées. Maintenant il est affronté à l’adversité, à l’hostilité. Nous percevons clairement l’aspect douloureux et voyons en filigrane la passion du Christ et la croix. Le quatrième poème présentera le caractère douloureux de sa mission.
On attendait un roi puissant qui s’imposerait par la force et voilà que le prophète annonce un « Serviteur de Dieu » totalement désarmé.
On attendait un roi puissant qui en imposerait tant à la nation qu’à tout le peuple.
Et, à contre pied de l’attente, ce n’est pas un roi s’imposant par les armes que Dieu nous envoie, mais un Serviteur totalement désarmé, car la seule puissance de Dieu est celle de l’Amour. C’est ce serviteur de Dieu totalement désarmé qu’Isaïe annonce ; il va à contre pied des attentes habituelles des hommes, il ne prend pas le style imposant des chefs : son humilité, son amour sont les seules armes de ce serviteur totalement démuni. Ce passage nous introduit tout naturellement à entendre le récit de la Passion de Jésus.
Isaïe lui donne la parole pour qu’il se présente lui-même comme serviteur maltraité à qui Dieu donnera sa force et qu’il puisse réaliser la mission confiée auprès de ses frères. Il ne pourra la réaliser qu’avec Lui. Ce sont les sentiments du serviteur assailli par ceux qui veulent le mettre à mort que nous décrit le prophète. L’auteur annonce le serviteur totalement désarmé, conforté mais habité par la Parole grâce à laquelle il est devenu capable de soutenir l’épuisé.. L’adversité ne l’empêche pas d’être ouvert à l’épuisé en le soutenant par « une parole ».
Comment comprendre une telle résistance dans l’adversité ? Le poème est divisé en quatre parties, chacune introduite par : « le Seigneur mon Dieu » v.4, 5, 7. 9. Elles explicitent et précisent que c’est bien le Seigneur qui est la source, et l’origine de la vocation prophétique et que le prophète y puise sa force.
C’est « le Seigneur Dieu » repris au début de chaque strophe-, c’est lui qui est sa force, son soutien : il lui donne la langue des disciples (v4), il lui ouvre l’oreille (v5), il le secourt (v7).
v.4.5 : « il éveille chaque matin, il éveille mon oreille » :
C’est ainsi que le Seigneur prépare son Serviteur à sa mission. Pour proclamer la Parole du Seigneur, il reçoit de Lui « la langue des disciples ». Le langage des disciples trouve sa vigueur dans l’Ecoute du Seigneur : la Parole, reçue, contemplée. C’est le Seigneur qui est à l’origine, prend l’initiative et qui, non seulement invite à l’écoute mais plus encore ouvre l’oreille et rend disponible à celle-ci.
« L’action du Seigneur à l’égard du serviteur est donc décrite comme une éducation
(v. 4-5.) Or l’éducation n’est pas seulement d’ordre intellectuel ni encore d’ordre affectif mais d’ordre pratique, vital. » Maggiore –As. du Sgr. 19
La fidélité du disciple est d’abord fidélité à l’écoute de la Parole de Dieu , dont tout le reste dépend. La finesse de son écoute le rend attentif aux cris des pauvres qui appellent.C’est encore le Seigneur qui ouvre l’oreille et le cœur de celui qui choisit de se mettre à l’écoute de la Parole.
La mission du prophète est tout simplement de soutenir les épuisés, de réconforter ceux qui n’en peuvent plus et ne perçoivent plus Dieu dans leur vie. Nous trouvons déjà ici l’annonce de la sensibilité qu’on retrouvera dans Christ ému face aux foules sans berger. Telle est l’oreille du disciple qui écoute depuis le matin.
On comprend en quoi l’Ecoute de Dieu est importante pour remplir la mission :
Elle doit capter la lumière pour ceux qui ne la perçoivent pas clairement.
La Parole de Dieu éveille notre oreille et devient lumière sur notre route.
Le Seigneur éveille notre sensibilité, « m’ouvre l’oreille » : faut-il y voir un procédé pédagogique de Dieu ? Il nous éveille en vue de nous rendre pleinement attentifs, pour que nous soyons pleinement à son Ecoute. Tel est le souhait du Seigneur.
Rester à l’écoute du Seigneur telle est l’attitude du Serviteur qui suppose et nécessite l’attention soutenue d’un cœur attentif, ouvert aux messages du Seigneur, qu’ils soient doux ou amers : à la différence d’Israël qui longtemps fut rebelle et refusa d’obéir au Seigneur.
Pouilly dans « Dieu a parlé à nos Pères » écrit p. 129 : « le Serviteur se veut seulement fidèle disciple à la fois intelligent et docile, capable de bien comprendre la parole reçue et de la transmettre. Il a une mission d’instruction et de réconfort à l’égard de ceux qui sont épuisés », cad les déçus du retour d’exil qui ne retrouvent plus rien et ne se sentent pas accueillis.
v.6 : Vient alors une énumération d’outrages qui vont crescendo, en face desquels le Serviteur reste patient, quasiment impassible. Le serviteur ne s’échappe pas, il se livre à ceux qui le frappent et qui lui arrachent la barbe : « Arracher la barbe était une injure d’autant plus grave que, pour un oriental, la barbe était un signe de virilité » Osty. Tel fut le sort des prophètes dans la fidélité à leur mission.
Qui sont ceux qui affligent coups et blessures au Serviteur ? « Il est plus simple de penser à Israël lui-même, incapable d’accepter la mission que lui assigne la prédication du prophète » Maggioni. On ne peut que s’étonner de l’extrême patience et douceur opposées par le Serviteur à l’extrême violence de ses bourreaux. Ne peut-on voir ici l’image de Dieu dans ses relations face à l’homme : il ne se dérobe pas quoique fasse l’homme. C’est sa confiance indéfectible dans le Seigneur « qui lui permet de ne pas faiblir dans sa mission » Pouilly
v.7 : Le Serviteur a la certitude de la présence du Seigneur qui ne saurait l’abandonner. C’est, dans la confiance que le Seigneur lui manifeste, que le Serviteur va trouver son assurance, sa force. « Cette assurance du Serviteur achèverait de nous convaincre que sa souffrance est celle d’un juste et non d’un coupable : la persécution qu’il endure ne trouve pas son explication dans une faute, ni simplement dans une situation politique. Il s’agit d’une persécution liée à sa vocation prophétique et missionnaire, à sa fidélité totale à Dieu » Maggioni
Le Seigneur assistera son Serviteur même si, en attendant, il doit s’accrocher pour supporter l’épreuve et, dit-il, « rendre mon visage comme le silex ». Au cœur de sa souffrance il garde une foi inébranlable. C’est, parce qu’il a supporté ces outrages et injures, qu’il peut à son tour réconforter celui qui n’en peut plus. « La parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille ». C’est dans cette attention quotidienne de l’écoute de la Parole que le Serviteur trouvera une force toujours nouvelle et retrouvera l’amitié de son Dieu pour remplir sa mission.
C’est parce que le prophète s’est laissé faire et ne s’est pas rebellé que la Parole du Seigneur a porté fruit et que lui-même est prêt à endurer toutes les conséquences de sa mission de serviteur souffrant, parce qu’il a la conviction que le Seigneur ne l’abandonnera jamais.
« L’originalité la plus remarquable se trouve dans la manière dont le Serviteur en méditant les Ecritures, a su interpréter et mettre en rapport avec l’histoire du salut la destinée du prophète persécuté. Le Christ fera de même en se référant justement à ces textes, au moment de vivre sa propre destinée de Messie rejeté » Maggioni dans Assemblée du Seigneur n°19.