Esaïe 6/1-2a.3-8
LIVRE DE L’EMMANUEL (6–12)
Vocation d’Isaïe
6
1 L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple.
2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds, et deux pour voler.
3 L’un criait à l’autre :
« Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. »
4 Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée.
5 Je dis alors :
« Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »
6 L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel.
7 Il l’approcha de ma bouche et dit :
« Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. »
8 J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
« Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? »
Et j’ai répondu :
« Me voici : envoie-moi ! »
9 Il me dit : « Va dire à ce peuple : Écoutez bien, mais sans comprendre ; regardez bien, mais sans reconnaître.
10 Alourdis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, colle-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. »
A propos de cette lecture :
Après la théophanie de Jérémie et le récit de sa vocation qui évoque une relation familière, confidentielle avec Dieu, voici celle d’Isaïe qui reflète un ton solennel, « propre à susciter l’effroi sacré ». Les trois lectures de ce dimanche ont un thème central : le face à face de l’homme avec Dieu dans le dialogue, écrasant et effrayant pour Isaïe mais dans la confiance reconnue et retrouvée pour les apôtres. Deux visions différentes l’une intime et l’autre solennelle , écrasante.
Isaïe dont le nom signifie » Yahvé est libération » appartient aux milieux aisés de Jérusalem.
Il exerce son ministère de prophète durant les règnes des rois Osias, Yoham, Achaz et Ezéchias. Il sera affronté à de nombreuses crises politiques et religieuses en raison de l’indifférente, de l’oubli du Seigneur , de l’idolâtrie et contre lesquelles il devra prendre position. Mais c’est aussi dans ce contexte qu’il fera l’expérience de sa rencontre avec le Seigneur dans une vision au temple dans laquelle il entendre le Seigneur s’adresser à lui.
Isaïe « raconte » sa vocation tout en l’interprétant déjà. Contrairement aux récits de la vocation de Jérémie, d’Ezéchiel et du Deutero-Isaïe, celui d’Isaïe ne se trouve qu’au chapitre 6 du livre. Isaïe qui fait mémoire de sa vocation tout en soulignant le pauvre résultat de sa mission.
Isaïe : son nom est « Yechayahou » ( Yahou c’est le salut) qui signifie Dieu est salut.
Isaïe serait de famille royale sinon tout au moins originaire d’un milieu aisé de la capitale.
Le Père Lagrange fait un parallèle avec la vocation de Pierre : « il est remarquable dit-il que la pèche miraculeuse est un événement capital dans la vie de Pierre, elle est au départ de sa vocation. Il avait déjà vu d’autres miracles mais aucun de lui avait inspiré une telle terreur sacrée. C’est la vocation définitive de Pierre. Jésus l’appelle, sans hésiter il laisse tout. Pour Isaïe le dénouement avait été semblable , un prophète était né. La manifestation saisissante du surnaturel affermit chez les deux hommes leur foi et la conscience de leur condition pécheresse »..
V1 « Je vis le Seigneur » : C’est bien d’une vision, : il ne s’agit pas d’une illusion utopique puisqu’il la date en rappelant l’année où elle a eu lieu, une vision qu’il s’agit dont il certifie en quelque sorte l’authenticité. Alors qu’il était bien connu dans le monde hébreu qu’on ne pouvait voir Dieu et rester en vie : voir Dieu signifiait la mort. Comment dès lors comprendre cette vision ? « Je vis le Seigneur » (v.1). Qui veut prouver son mandat doit pouvoir avancer des lettres de créance. C’est ce que demandaient les contemporains à Jésus lorsqu’il bouleversait les vendeurs et annonçait la destruction du temple). Qui a la prétention de parler au nom de Dieu, doit signifier quand, où et comment il en a reçu la mission : l’année de la mort du roi Ozias, au cœur de la capitale de la Judée, dans le Temple de Jérusalem.
Qu’a vu Isaïe ? ce n’est pas une vision furtive. La vision d’Isaïe n’est nullement imaginaire ni purement personnelle. Citer le Temple, permet au prophète de projeter dans le ciel les objets du culte que chaque fidèle peut contempler pour en faire les attributs de ce Dieu dont la présence est reconnue dans le Sanctuaire.
Après une telle vision il est pris de frayeur, « malheur à moi je suis perdu. Il est réduit au silence et se croit perdu car la vision du Seigneur entraîne la mort. Il pense que tout est perdu pour lui et ne pourra plus communiquer avec son Dieu.».. Il prend conscience de son indignité autant que de celle de son peuple (v5) .. comme Pierre après la pêche miraculeuse « je suis pécheur » .
Après avoir été purifié par le charbon brûlant il peut entendre la voix du Seigneur lui enjoignant sa mission et l’introduire dans une profonde relation qui oriente toute sa vie, à savoir que Dieu est le « Saint »par excellence et face à lui l’homme se découvre pécheur. La Bible de Jérusalem dans son introduction à Isaïe écrit : « face à Lui (Dieu) l’homme se découvre pécheur,( inexistant par rapport à l’existant et il est de plus souillé) sa faute consiste en sa prétention à se suffire lui-même »
C’est sans doute un des plus beaux textes de l’ancien testament. Il résume les grandes lignes de la vocation et du ministère du prophète, ainsi que les bases de sa foi. Nous retrouvons ici le schéma classique des vocations :
1) manifestation divine, vision qui permet au prophète de prendre conscience de son état
2) explication de la mission de prophète,
3) protestation et objection de l’appel (v 5),
4) signe donné par Dieu pour confirmer l’appel et la mission: geste de purification (v 6-7),
5) réitération de l’appel du Seigneur sollicitant l’adhésion (v8)
La vision d’Isaïe a un caractère grandiose : c’est au temple que se passe la vision d’Isaïe, le lieu est disposé à ce genre de manifestation qui se déroule selon un rituel , un schéma classique en cinq étapes que nous venons de préciser. Cette vision a lieu l’année de la mort du roi Ozias( vers 740) par laquelle il comprend que Dieu l’appelle.
Isaïe a conscience de l’événement et il tente de le préciser pour en faire part. Dire j’ai vu le Seigneur semble une affirmation osée et franche qu’il va cependant détailler avec précision. Il voit le Seigneur siégeant sur un trône élevé. Fréquentant le roi il est influencé par le décor royal, il reproduit ce schéma dans sa vision. La salle du trône dont il parle c’est le Temple. Les pans de son manteau le remplissent de sa présence.
Un tel déploiement de sainteté provoque en lui un cri de stupeur : « malheur à moi » : il sent toute son indignité de créature. Mais en même temps l’aide à prendre conscience de la grandeur de sa mission.
« Les séraphins brûlants sont ici des personnages mythiques évoquant des serpents ailés et brûlants censés hanter le désert et dont l’effigie d’airain était honorée dans le Temple jusque sous le règne d’Ezéchias ».
Notons au passage l’abondance des verbes voir, entendre, dire qui sont des termes de communication et donnent déjà l’orientation et le sens de ce qui se passe.
Le cri atteste la transcendance de Dieu devant qui les séraphins se trouvent et proclament sa louange, se voilant la face, dans un cri répété trois fois, le « trisagion » « saint, saint, saint » face au Dieu inaccessible « étranger à toute compromission, mais sans froideur distante, puisqu’il se révèle à ceux qui, par leur pureté et leur probité morales, rendent présente au monde sa sainteté fascinante » Signes 116.54
Le sens de « sainteté » dans la bible est assez différent de ce que nous disons souvent en attribuant ce mot à des objets de culte qui ont été séparés pour être réservés en exclusivité au culte. « La sainteté biblique a sa source en Dieu qui se réserve un peuple. La sainteté rituelle n ‘était qu’une séparation conventionnelle, la sainteté biblique est la vie même de Dieu qu’il communique à ceux qui le cherchent » La Bible et son Message.
« La terre est remplie de sa gloire » : la gloire « c’est le poids de la vie intime de Dieu qui rayonne sur toute la terre. Isaïe traduit ainsi par ce mot et cette image, à la fois la transcendance de Dieu et sa présence au cœur de son peuple, comme source de vie » Aujourd’hui la bible.
A partir du verset 8 après la grande frayeur :à la suite de la vision de Yahvé, et des Séraphins et après avoir entendu ceux-ci et qu’un Séraphin lui eut purifié les lèvres avec le charbon : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné » c’est alors qu’il peut entendre la voix de Yahvé et entamer un dialogue avec lui. Alors commence le dialogue avec Dieu
Les versets 9 et 10 donnent en effet l’impression que le prophète est envoyé pour qu’on ne l’écoute pas, pour qu’on ne comprenne pas son message. Ce qui par ailleurs ne dispense pas les auditeurs de se reconnaître coupables (vv.10-13). Rappeler, au cœur de l’apparent échec de sa mission, l’appel de YHWH, n’est-ce pas souligner plus fortement, dans un regard de foi, la fidélité toujours créatrice du Seigneur ?
L’arche d’alliance apparaît comme le trône de Dieu. Les Séraphins au-dessus de l’arche deviennent les serviteurs du roi divin. Par respect, ils ne regardent pas vers Dieu. Par souci de conserver la pureté du culte, ils se couvrent certaines parties du corps ; ils volent pour mieux accomplir partout dans le Temple la mission reçue du roi. Le chant qui s’élève dans le Temple devient une hymne céleste. Le cri d’une foule jubilante et la fumée des holocaustes s’offrent comme des signes accompagnant la manifestation de Dieu. Quant au charbon brûlant venant de l’autel, il sert d’instrument de purification pour celui que le Seigneur envoie.
La perception qu’a Isaïe des objets et ces actions dans le Temple va au-delà d’une perception matérielle, il contemple la présence du « Seigneur, le tout-puissant » qui remplit le Temple (« sa traîne remplissait le Temple »).
Le roi Osias avait eu l’audace d’offrir un sacrifice sur l’autel du Temple. Il croyait que sa fonction royale lui permettait d’avoir barre sur Dieu. Isaïe n’est pas sûr de lui, il est conscient d’être pécheur, solidaire d’un peuple et d’un roi pécheurs, mais réceptif à Dieu. La gloire de Dieu est d’un autre ordre que la gloriole des princes de ce monde. Isaïe en est le témoin, il accepte d’en devenir le messager.
En décrivant ainsi sa vocation et sa mission, Isaïe dévoile combien il est conscient de ne pas parler en son propre nom, mais au nom de Dieu. Sa mission veut exprimer le projet final de Dieu : le monde entier sera un jour rempli de sa sainteté.