Néhémie 8,1-4a.5-6.8-10
1 Tout le peuple se rassembla comme un seul homme sur la place située devant la porte des Eaux. On demanda au scribe Esdras d’apporter le livre de la loi de Moïse, que le Seigneur avait prescrite à Israël.
2 Alors le prêtre Esdras apporta la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois.
3 Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
4 Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès.
5 Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout.
6 6 Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre.
8 Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
9 Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple :
« Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! »
Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi.
10 Esdras leur dit encore :
« Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »
11 Les lévites calmaient tout le peuple en disant :
« Cessez de pleurer, car ce jour est saint. Ne vous affligez pas ! »
12 Puis tout le peuple se dispersa pour aller manger, boire, envoyer des parts à ceux qui n’avaient rien de prêt et se livrer à de grandes réjouissances ; en effet, ils avaient compris les paroles qu’on leur avait fait entendre.
A propos de cette lecture :
Les livres d’Esdras et Néhémie ne faisaient qu’un volume-dans la bible hébraïque jusqu’au 15e siècle. A ce sujet Osty écrit : « la traduction grecque de la Septante a d’abord respecté l’unité de l’ouvrage puis la coupure s’étant peu à peu établie on a eu Esdras II et Esdras III, le livre de Néhémie » Esdras I est un apocryphe qui n’ pas été retenu. Le livre de Néhémie évoque l’installation en Terre Sainte du peuple de Dieu au retour de l’exil vers 538. Cyrus avait mis fin à l’empire babylonien et sa tolérance en matière religieuse fait restituer aux juifs les trésors arrachés au temple et permet la reconstruction de celui-ci, qui a dû être terminée vers 515, suivie de la dédicace du nouveau temple.
Il ne suffit pas reconstruire le temple, l’unité est à refaire et d’autant plus difficilement qu’il y a des tensions entre ceux qui sont revenus pleins d’espoirs et d’illusions peut-être et ceux qui n’ont pas quitté la Terre Sainte.
Le chapitre 8 de Néhémie « garde la trace, fortement relue, d’un événement historique d’importance : Esdras convoque une grande assemblée » : il est indispensable de revenir aux fondements d’Israël qui avaient été laissés dans l’ombre à savoir la Loi de Moïse. « Esdras impose la Loi ‘comme constitution à la fois religieuse et civile, reconnue et sanctionnée par le souverain perse Darius.(Esd. 7/26) (…) Ainsi le Judaïsme conquérait sont identifié propre et une relative autonomie, sans payer les frais d’une lutte, alors impossible, pour l’indépendance politique » Cahiers Evangile n° 55, p.26.
Il s’agissait de « régler la vie de la Judée sous l’égide de la Loi de Moïse ».
Grandiose scène du Livre (de la Loi -Parole de Dieu)–pour laquelle tout Jérusalem se rassemble pour l’écouter et renouveler l’Alliance dans un oui fervent à Dieu, au cours d’une célébration de la Parole.
Ici le culte de la parole en plein air va relativiser le culte du temple. On n’est pas encore arrivé au culte en esprit mais la célébration a lieu au la Porte des Eaux au sud du palais royal.
C’est la fête de Tentes (des Tabernacles), la Pentecôte juive la plus prestigieuse des fêtes juives, commémorant la libération d’ Egypte- le séjour sous la tente au désert- la Révélation de la Loi au Sinaï, la fête fondement du judaïsme. Elle s’accompagnait d’une célébration expiatoire qui se terminait par un engagement de tout le peuple.
Esdras, aidé de Néhémie, convoque tout la communauté à un grand rassemblement. Esdras est un prêtre versé dans les écrits mosaïque et Néhémie un gouverneur laïc. Ont-ils travaillé ensemble ? Ce qu’il fallait avant tout c’est restaurer la communauté : il était plus facile de relever des murs que d’unir une communauté : c’est deux communautés qu’il fallait réunir : celle qui était partie en exil et celle qui était restée et avait dû s’accommoder avec l’occupant.
C’est bien la Loi, donnée à Moïse, qui avait été à l’origine du peuple de Dieu qui pouvait les rassembler. C’est en ouvrant d’une manière toute nouvelle, le livre de la Loi et en en donnant l’accès à tout le peuple.
« Le livre de la Loi c’est la Parole de Dieu qui a convoqué et fondé la première assemblée au désert, maintenant encore, elle rassemble le Peuple quand il s’agit de restaurer le judaïsme » Miss Dom.
C’est au cours de ce culte, en dehors de la somptuosité du Temple que l’importance de la célébration de la Parole de Dieu va être soulignée et retrouver toute son importance capitale au cœur de l’Alliance. On comprend que ceux qui reviennent de l’exode soient déçus de ne se retrouver qu’à l’extérieur du Temple, qui leur a manqué, et cependant heureux du culte de la Loi qu’ils ont redécouverte pendant l’exil.
Nous avons ici une liturgie depuis le lever du jour jusqu’à midi. C’est dire l’importance de cette liturgie composée de la lecture de la Loi avec sa traduction et des explications, que le peuple écoute debout et ponctue d’Amen qui sont sa réponse et qui se termine par la grande prosternation.
« L’enjeu, dit M-N Thabut, c’est de redonner une âme à un peuple »
v1 : « fête du 7e mois » : comme un seul homme tout le peuple se réunit pour la fête des tentes qui n’a pas lieu au temple mais en plein air.
Le lien est établi entre la Parole de Dieu et l’Assemblée. Quand le livre est lu en assemblée par ceux qui ont mandat pour cela, il redevient parole actuelle, Parole de Dieu.
V8 : « traduisaient » parce que le livre de la loi dont les traditions avaient été écrites et transmises en hébreu n’était plus compris par les gens. En effet Darius avait vulgarisé l’araméen et les gens ne parlaient plus et ne comprenaient plus l’hébreu. Il était donc nécessaire de traduire et expliquer ce qui était lu en araméen: on comprend mieux un des motifs de la longueur de la célébration.
Nous avons ici le schéma type d’une célébration liturgique dans laquelle nous pouvons nous retrouver :
1. Proclamation de la Parole avec la traduction et l’explication= homélie.
2. Adhésion de l’assemblée : Amen = profession de foi.
3. Action de grâce et le repas= eucharistie
4. Suivi d’un repas festif
« Le chapitre 8 de Néhémie se déroule dans un cadre d’une étonnante solennité. Nous atteignons aux racines les plus profondes du culte synagogal : l’estrade en bois servant de chaire, la formule de bénédiction initiale, la réponse du peuple debout : Amen, les gestes liturgiques (lever les mains, se prosterner la face contre terre) et enfin la lecture de la Loi suivie de son commentaire » Auj la Bible.
Ici la lecture de la Loi est suivie d’un repas de fête et non d’un sacrifice.
Quel lien y a-t-il avec l’Evangile de ce jour ?
C’est le prologue de Luc qui a appelé cette première lecture où on voit le scribe Esdras faire la lecture solennelle de la Loi, de la Parole de Dieu suivi du déroulement de la célébration. Après avoir délaissé la lecture de la Loi pendant tout le temps de son exil, Esdras prend le temps de relire, ré expliquer la Loi et en faire ressortir les exigences.
C’est une découverte étonnante et un étonnement d’autant plus grand que la Loi n’avait plus été entendue depuis des décennies. C’est donc une redécouverte un étonnement qui provoque une action de grâce « Amen » et jette le peuple face contre terre. On dirait aujourd’hui une sorte de ré évangélisation. Il fallait réinventer –tout au moins « restaurer le rythme des fêtes religieuses pour le renouvellement de l’Alliance, la Pâque et la Pentecôte juive » et la Parole, la Loi sera le lien qui introduira le peuple à renouveler l’Alliance avec son Dieu, les liens entre Dieu et son peuple vont être affermis et désormais scellés dans l’Alliance, attendant l’Eternelle.
F. Deleclos écrit : « vraiment il n’y a pas de peuple de Dieu, pas de famille chrétienne, pas d’Eglise, pas de foi authentique et donc de fidélité au Seigneur, sans rassemblement autour de la Parole, sans écoute attentive et célébration joyeuse » dans « Prends et mange la parole ».
Néhémie écrit : « ils avaient compris les paroles qu’on leur avait fait entendre »
« Retenons la leçon : pour ressouder une communauté, Esdras et Néhémie ne lui font pas la morale, ils lui proposent une fête autour de la Parole de Dieu. Rien de tel pour revivifier le sens de la famille que lui proposer régulièrement des réjouissances »M-N Thabut dans Intelligence des Ecritures 6.27
La joie du Seigneur est notre rempart, voilà où se fonde notre enthousiasme.
A cause de son importance, cet événement sera réinterprété » dans le cadre de la liturgique synagogale naissante, renforçant l’image fondatrice d’Esdras. »
Dans ce que l’Eglise vit actuellement, ce texte de Néhémie nous dit combien il est plus facile de remettre debout des murs et de restaurer un sanctuaire que de réconcilier une Eglise déchirée par les événements. Ce qui importe pour Néhémie, c’est de restaurer la communauté des croyants. La génération née en Exil devait se faire accepter par celle qui, restée au pays durant 50 ans, avait du s’accommoder d’une occupation indésirée. Et si la restauration du culte pouvait devenir un lieu de retrouvailles, ce n’était guère évident ni pour les uns ni pour les autres. Il fallait réinventer ensemble le rythme des fêtes religieuses en vue de la restauration de l’Alliance. Cette restauration – comme celle de nos familles ecclésiales aujourd’hui – rencontrait, dans les mentalités et parmi les gens au pouvoir, des résistances. Nous retrouvons ici une invitation adressée au Peuple de traverser le deuil et les blessures pour vivre non seulement la réconciliation mais encore la jubilation des retrouvailles de l’Alliance.