1ère lecture : Isaïe 35,1-6a10

Le retour des sauvés

35,1 Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose,
2 qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.
3 Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,
4 dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver.»
5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie :
Oui, l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride.
7 La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes. Dans le séjour où gîtent les chacals, l’herbe deviendra des roseaux et des joncs.
8 Là, il y aura une chaussée, une voie qu’on appellera : la Voie sacrée. L’homme impur n’y passera pas – il suit sa propre voie – et les insensés ne viendront pas s’y égarer.
9 Là, il n’y aura pas de lion, aucune bête féroce ne surgira, il ne s’en trouvera pas ; mais les rachetés y marcheront.
10 Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

A propos de cette lecture :

« La Bible et son message » écrit à propos de ce passage : «  L’apocalypse d’Isaïe (les chap 34-35 sont appelés la « petite apocalypse »)aurait pu orienter l’attente d’Israël vers le messie justicier qu’imaginait Jean-Baptiste ; or dans cette évocation de la fin des temps, où une ère de bonheur succède à des bouleversements catastrophiques, Jésus, dans sa réponse aux envoyés de Jean, ne retient que les annonces de salut. Il anticipe, par delà les catastrophes, pour proclamer que le règne de Dieu arrive. Ses miracles, sa prédication  et finalement sa venue dans le monde rendent présent dès aujourd’hui , le monde futur dontle prophète avait entrevu la réalisation . Les cieux nouveaux ne sont pas pour plus tard, mais l’essentiel en est déjà donné dans la personne de Jésus ».

Situation : Isaïe 34 et 35 décrivent les derniers combats de Dieu contre les Nations qui visent surtout Edom  et sont «  suivis de la délivrance et de la félicitation sans fin du peuple d’Israël réuni à Sion » Osty.

Dimanche dernier Isaïe annonçait les prémices du Royaume, un avenir merveilleux : d’un tronc desséché surgirait un rameau  symbole d’une descendance, d’un monde où tout ce qui semblait s’opposer se réconcilie  pour vivre dans l’harmonie

En contraste avec l’évocation, au chap. 34, des dernières escarmouches menées par le Seigneur  contre les nations qui ont asservi son peuple durant 50 ans, le chapitre 35 célèbre avec éclat le retour des Exilés, à travers un désert miraculeux transformé . C’est la joie.

Pour bien comprendre il faut se rappeler que la « Terre Promise » a été envahie par Babylone et que le roi y avait été déporté ainsi qu’une bonne partie de la population. Celle-ci vivait dans l’attente d’un retour à Jérusalem. Les déportés ont maintenant compris leur péché.

C’est donc au courage de l’espérance et à la joie qu’Isaïe invite les exilés de Babylone, tout près du découragement tant le silence de Dieu leur paraît lourd. Comme lors de  leur esclavage en Egypte, Dieu  lui-même va intervenir : « il vient lui-même il va vous sauver ». Cette fois le prophète réconforte le peuple en se tournant résolument vers l’avenir et lui annonçant la transformation miraculeuse que le salut apporté par Dieu va réaliser : ils vont se retrouver à Jérusalem.

Dans ce chapitre « paradisiaque », (les versets 6-9 sont absents de cette péricope)  on peut distinguer deux thèmes : le saint printemps (v 1-7) et la sainte route (v.8-10). La partie « printanière » de l’oracle chante la gloire du Dieu libérateur. La seconde dépeint la voie sacrée par laquelle Dieu et son peuple reviennent, elle est à comparer avec le chapitre 40 d’Isaïe qui décrit le retour des exilés à Sion.

Le retour d’Exil est comparé à un printemps car pour le peuple il s’agit d’une nouvelle création. L’alliance avec son Dieu lui est rendue. Ce printemps est saint car  Dieu s’y révèle : « La gloire de Dieu lui est donnée,…on verra la splendeur de notre Dieu ».

Contrairement aux Edomites ( ch. 34), leurs ennemis qui, eux, verront le désastre, Israël va ressusciter. Il ne s’agit pas d’une annonce utopique, Isaïe invite à discerner dans la foi les signes déjà présents de ce Royaume que Dieu veut établir pour son peuple.

Il s’agit d’encourager celles et ceux qui ont perdu tout espoir.  Il faut les apaiser en proclamant que  Dieu est proche car il va libérer son peuple et le désert en sera témoin : il se transformera en terre cultivée, il sera couvert de fleurs des champs, il exultera pour le passage et le retour des exilés. Ce sera avant tout la gloire de Dieu qui se manifestera, la splendeur du Seigneur qui éclatera aux yeux de la terre entière : « on verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu »

Le plus important manque : c’est la confiance pour oser faire la traversée. C’est pour leur rendre vigueur et vie qu’Isaïe fait appel et les invite à l’audace du courage : v3 «  fortifiez les mains défaillantes… »

C’est la venue de Dieu lui-même en personne qui permettra l’Espérance active : lui qui rend le désert fertile. Ce retour « n’est pas un simple fait extérieur mais la réintroduction dans l’intimité du Seigneur » ( Montagnini dans Ass. du Sgr.)

Les signes éclatants vont ouvrir les yeux des aveugles, faire entendre les sourds…

Au verset 4 l’expression « voici votre Dieu c’est la revanche qui vient» étonne et ne semble guère « évangélique ».

On peut l’expliquer de deux manières. Selon le Chanoine Guelluy : « Je me suis longtemps étonné du succès permanent des psaumes qui me choquaient par leurs plaintes ou leurs appels à la vengeance. Je comprends mieux à présent qu’on soit séduit, parce qu’ils clament des cris d’hommes ou s’expriment sans onction ecclésiastique, sans spiritualisme dévitalisant, les souffrances, les indignations, les révoltes d’êtres de chair et de sang. Les auteurs bibliques ont un corps, une affectivité, des passions. Leur langage, parfois ou souvent teinté d’emphase orientale, est concret, vrai ; tout à tour paisible et dramatique, il rend un indéniable son d’authenticité. Au lieu de nous scandaliser de ses violences, il nous faut nous y reconnaître dans nos sentiments inavoués. La Bible nous met en présence d’hommes qui ne cachent pas ce qu’ils sont, qui clament leurs souffrances et leurs questions, qui les assument dans la foi sans les étouffer. L’homme d’aujourd’hui, écœuré par la fausse vertu douceâtre et les idéaux aseptisés, y trouve des références enracinées avec réalisme dans un terreau humain semblable au sien. ».  R. GUELLUY, Mais il y a Jésus Christ, Duculot, 1989, p.131.

Ces versets 5-6 sont bien au centre de notre péricope. C’est à un renversement total qu’on assistera en faveur des pauvres, des malades, des laissés pour contre, repris dans les  béatitudes. Le renversement évangélique sera celui de la tendresse, mais l’Evangile comporte en même temps les exigences de la Justice, un juste retour des choses qu’il nous faut hâter. Cela aussi, il nous est demandé de le dire « à ceux qui s’affolent ».

Bernard Renaud donne un autre point de vue : « Le prophète voit dans cet avenir lumineux promis aux exilés comme un soupçon de revanche. Toutefois qu’on ne s’y trompe pas : selon l’oracle isaïen, la vengeance de Dieu se manifeste moins par le châtiment impitoyable des Edomites, que dans le salut des exilés. Face à leurs ennemis défaits, ceux-ci peuvent se targuer d’un renversement radical de situation à leur bénéfice et d’un retour en grâce auprès de leur Dieu qui un moment avant avait pu les abandonner » Feu Nouveau  n° 54-1 p. 36

Isaïe est concret : le salut du Dieu sauveur n’est pas seulement spirituel, intérieur, il comporte la guérison des malades (boiteux et aveugles). Le salut n’est pas purement symbolique, il s’enracine jusque dans notre chair et notre histoire humaine. Une partie du texte prophétique est repris dans la réponse que Jésus donne aux disciples de Jean Baptiste, dans l’évangile de  ce jour.

Le verset 10 résume tout : le retour sera jubilant, plein de joie et d’allégresse, car les signes qui accompagnent la mort, tristesse et plaintes, s’enfuiront.

Tout ceci peut nous paraître un rêve pieux. Et si c’était le rêve de Dieu ? Notre existence quotidienne a peut-être besoin d’être assaisonnée d’un grain d’utopie éclairée par le rêve de Dieu qui nous invite à travailler à l’aménagement du monde nouveau en dépit des contradictions et des marasmes qui sont dans l’air du temps.  La parole d’Isaïe n’est pas un mirage, mais la route du Seigneur pour celles et ceux qui construisent avec lui la voie sacrée de leur libération. Seule l’espérance de la foi peut réaliser ce projet de Dieu et seuls celles et ceux qui reviennent à lui en connaîtront l’allégresse et la joie.