Célébrer la Croix le vendredi saint
Au cœur du vendredi saint, la célébration de la Passion, qui prend place en principe vers quinze heures, est un office unique en son genre, d’une grande densité liturgique.
Une facette de la grande liturgie pascale
Le premier élément qui frappe ‑ et il faut le conserver avec soin ‑ c’est le silence qui accompagne le début et la fin de la célébration : le Missel ne mentionne ni chant d’entrée ni envoi. En fait, l’office du vendredi saint s’inscrit dans une liturgie plus large qui a déjà commencé le jeudi saint au soir et ne s’achèvera qu’à l’issue de la vigile pascale avec l’envoi solennel de Pâques : « Allez dans la paix du Christ, alléluia ! »
Une célébration du mystère pascal, mort et Résurrection
Il nous faut garder aujourd’hui en mémoire l’unité originelle des trois jours saints une seule et grande liturgie au cours de laquelle l’Église fait mémoire de la Pâque du Christ. Et ce passage de la mort à la vie, de l’abaissement à l’exaltation, des ténèbres à la lumière, s’opère non seulement dans la progression du Triduum, mais encore à l’intérieur de chaque célébration et même de chaque rite. Ce n’est donc pas sur la mort du Christ qu’est centré le formulaire du vendredi saint. S’il s’agit de se souvenir de sa croix, c’est parce que nous proclamons notre foi en sa Résurrection : « Ta croix, Seigneur, nous la vénérons, et ta sainte Résurrection, nous la chantons : c’est par le bois de la croix que la joie est venue dans le monde’. »
La dimension pascale de l’office de la Passion est déjà tout entière signifiée dans le rite d’entrée, unique en son genre, qui « doit être conservé avec soin’ » : la grande prostration. En effet, il réalise en acte ce passage pascal de l’humiliation de la croix (position couchée sur le sol) à la gloire de la Résurrection (la station debout) et résume à lui seul tout le sens de la célébration qui va suivre.
La liturgie de la Parole l’obéissance de la croix, principe de salut
« Pour nous, le Christ s’est fait obéissant, jusqu’à la mort… c’est pourquoi Dieu l’a exalté… » (Christus factus est…) : l’acclamation de l’Évangile est la clé de lecture de
l’ensemble de la liturgie de la Parole. Ainsi, les deux faces du mystère pascal y sont présentes : Isaïe annonce dans le Serviteur souffrant, la passion du Christ, mais elle est d’emblée présentée comme salutaire et victorieuse : « Mon serviteur réussira il sera exalté. » Le psaume 30 qui lui fait suite est un psaume de confiance : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. » La lettre aux Hébreux est d’une certaine manière le commentaire du Christus factus est : par son obéissance, le Christ y est présenté comme le grand‑prêtre unique et définitif capable d’obtenir miséricorde et de nous introduire auprès de Dieu. La Passion selon saint jean, enfin, présente un Christ en majesté qui domine les événements et accomplit déjà le jugement.
La liturgie de la Parole s’achève par (a grande prière universelle : elle est faite avec une solennité exceptionnelle selon l’antique pratique romaine qui alterne une intention, un temps de silence et l’oraison énoncée par celui qui préside. Devant (a croix, l’Église ne peut rien faire de mieux que d’unir sa prière à l’offrande du Christ, désirant toucher tout homme car le salut opéré par le Christ doit atteindre les extrémités de la terre, parce qu’il est venu < rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52).
L’adoration de la croix un geste, une participation au mystère pascal
Ce rite est au centre de la célébration. Le Missel en propose deux formes la première et la plus ancienne consiste dans le dévoilement progressif d’une croix que l’on a apportée à l’autel. Dans la seconde, qui est une innovation du Missel de 1969, une croix non voilée est portée dans le sanctuaire en faisant trois stations. Ensuite a lieu la vénération individuelle. La force symbolique du signe exclut la possibilité de multiplier les croix en cas d’affluence (n° 19). Si tel était le cas, te Missel propose un temps de vénération silencieuse sans déplacement de l’assemblée. Toutefois, il insiste surtout sur l’aspect personnel de la démarche, laissant une certaine liberté quant au geste à poser.
La dimension pascale du rite apparaît nettement autant dans l’acclamation qui accompagne le dévoilement ou les trois stations de la croix (« Voici le bois de la croix qui a porté le salut du monde. R/ Venez, adorons ! »), que dans l’agenouillement qui lui fait suite. Car, ici, se mettre à genoux, c’est non seulement communier à la mort du Christ, mais aussi reconnaître sa victoire sur la mort et son exaltation à la droite du Père, comme le suggère Ph 2, 10‑11, déjà cité dans l’acclamation de l’Évangile : « afin qu’au Nom de jésus […], tout être vivant tombe à genoux et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » pour la gloire de Dieu te Père »
Communier à la Pâque du Christ
Parce que cette célébration est communion à la passion et à (a résurrection du Christ, le rite de communion qui l’achève vient lui donner toute sa cohérence. On communie avec les hosties consacrées la veille. Cette précision n’est pas seulement pratique : la communion du vendredi saint est intimement liée à l’eucharistie du jeudi saint car on ne peut séparer sacrifice et sacrement.
La liturgie du vendredi saint est très sobre. Elle dit peu de choses mais le dit en actes (prostration, lecture de la Passion, station debout prolongée, agenouillements, processions, geste personnel de vénération de ta croix, etc.) : et il faut bien que ces gestes sortent de l’ordinaire pour que l’expérience du mystère pascal ne reste pas seulement un concept. Le vendredi saint, c’est dans l’expérience un peu folle d’aller embrasser une croix que l’on peut répondre à la folie de l’amour de Dieu pour tout homme.