Chers amis,
Puisqu’au terme de cette célébration, il me revient de vous adresser quelques mots, je voudrais vous dire à quel point je m’associe à l’action de grâces de nos frères Trappistes en ce jour anniversaire de leur implantation. Je ne vais pas évoquer dans le détail le récit de leur arrivée à Port-Ringeard il y a deux cents ans jour pour jour. Tout cela nous sera redit tout à l’heure. Nous savons que nous devons cet heureux événement à une longue série de hasards providentiels, à commencer par l’arrivée à Darfeld de M. Le Clerc de La Roussière. C’est grâce à sa pugnace obstination, principalement, et au solide mécénat qu’il sut organiser que l’Ordre put s’établir et prospérer dans notre diocèse.

Ce que j’aimerais saluer, comme évêque, c’est la fécondité simple et rayonnante que cette communauté a connue depuis sa fondation jusqu’à ce jour. Je ne parle pas d’abord, sur un plan économique, du prestige que son célèbre fromage lui permit d’acquérir, mais du rayonnement spirituel qui fut le sien. On sait qu’au milieu du XIXe siècle, Port-du-Salut comptait cent vingt moines en temps ordinaires et en envoyait souvent ailleurs tant elle débordait. C’est ainsi que l’abbaye contribua à la renaissance de Notre-Dame de Bricquebec en prêtant quelques moines susceptibles d’enseigner la vie cistercienne. Aujourd’hui, la communauté rayonne autrement ; elle fait signe par sa simplicité, sa pauvreté même, elle est un phare discret au cœur du diocèse, un havre de paix pour un grand nombre d’hommes et de femmes en quête de sens et de Dieu.

Personnellement, j’aime beaucoup cette image que saint Bernard emploie dans son Commentaire du Cantique des Cantiques et qui me semble offrir une heureuse résonance avec le temps du Carême où nous sommes. Le carême, en effet, c’est ce temps liturgique où l’Église nous invite à nous vider en quelque sorte de nous-mêmes pour mieux nous laisser remplir par Dieu. C’est justement cette image du « remplissage » que saint Bernard utilise de façon suggestive. C’est dans le sermon 18, un passage où il parle des deux opérations du Saint-Esprit, dont l’une s’appelle effusion et l’autre infusion. Saint Bernard invite à être « bassin » davantage que « canal » : « un canal, écrit-il, rend presque immédiatement ce qu’il reçoit, un bassin au contraire attend d’être rempli pour alors communiquer sans réserve ce dont il surabonde.
Dans l’Église aujourd’hui, nous ne manquons vraiment pas de canaux, mais bien de bassins » (18,2-4). Etre bassin pour les autres, un lieu pour étancher la soif des hommes nos contemporains, toujours en quête de sens et de véritable vie. Telle est la vocation des monastères. Et je peux témoigner aujourd’hui que c’est ce que vivent ici nos moines de l’abbaye du Port du Salut sous la houlette de leur dynamique Père Abbé. C’est pour cette raison qu’on aime venir en cette abbaye pour s’y reposer auprès du Seigneur, et combien de mayennais, laïcs, religieux, religieuses ou prêtres en ont fait l’expérience.

Dieu seul sait ce qu’il adviendra de cette communauté pour l’avenir et nous abandonnons cela à sa Providence. Une chose est sûre : lorsqu’on franchit le porche d’entrée de ce monastère, on ne peut qu’être saisi par la beauté mystérique de ce lieu et redire alors ce que les premiers moines dirent eux-mêmes en arrivant : « Ici est notre salut ! » Que le Seigneur bénisse nos frères moines. Qu’Il bénisse celles et ceux qui viennent aujourd’hui encore chercher auprès d’eux la paix du cœur et la joie de l’espérance.