1ère lecture : Jérémie 20/7-9

7       SEIGNEUR, tu as abusé de ma naïveté, oui, j’ai été bien naïf; avec moi tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. A longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi.

8 Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois appeler au secours et clamer: «Violence, répression!» A cause de la parole du SEIGNEUR, je suis en butte, à longueur de journée, aux outrages et aux sarcasmes.

9  Quand je dis: «Je n’en ferai plus mention, je ne dirai plus la parole en son nom», alors elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant, prisonnier de mon corps; je m’épuise à le contenir, mais n’y arrive pas.

10 J’entends les propos menaçants de la foule – c’est partout l’épouvante: «Dénoncez-le!» – «Oui, nous le dénoncerons!» Tous mes intimes guettent mes défaillances: «Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche.»

11 Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un guerrier redoutable; mes persécuteurs trébucheront et n’arriveront pas à leurs fins. Ils seront couverts de honte – ils ne réussiront pas. Déshonneur à jamais! On ne l’oubliera pas.

12 SEIGNEUR tout-puissant, toi qui examines le juste, qui vois sentiments et pensées, je verrai ta revanche sur eux, car c’est à toi que je remets ma cause.

13 Chantez au SEIGNEUR! Louez le SEIGNEUR! Il délivre la vie des pauvres de la main des malfaiteurs.

 

A propos de cette lecture :

En prolongeant la lecture jusqu’au verset 12-13 la situation du prophète semble s’éclairer et s’ouvrir.

Les prophètes ne sont pas des surhommes et ont eu de tout temps la vie dure. C’est ce qui explique certainement qu’ils se font rares ou qu’ils sont pris par le découragement, tant l’opposition rencontrée est grande.

Mais le prophète est un homme tellement passionné, pris par l’amour de Dieu qu’il ne peut pas ne pas parler. Le prophète est toujours quelqu’un qui semble aller à contre courant de son temps ; alors qu’il le devance car il voit déjà au-delà ce qui va arriver. Sa parole salutaire n’est pas facile à entendre même si l’on en reconnaît la justesse.

C’est le combat de la foi, combat intérieur de tout-quiconque vit une relation d’intimité avec Dieu. A un moment ou l’autre, il a l’impression d’être abandonné, mais plus encore d’avoir été trompé, « floué » pour utiliser une expression d’aujourd’hui.  Il est normal alors de se poser des questions.

A cause de sa mission le prophète est rejeté par ses frères, voire persécuté. C’est le débat intérieur d’un homme qui entend demeurer fidèle à Dieu, à sa mission et nous trouvons ici l’attestation de foi du prophète qui a traversé une longue nuit.

Le témoignage de Jérémie nous avertit que le désenchantement ne guette pas moins les plus lucides des prophètes et les plus engagés. Ce prophète apparaît comme un homme solitaire. Avec Osée, confronté qu’il est à l’incompréhension et à la malveillance dont il se sent l’objet, il  est le seul à se livrer personnellement dans ses écrits. Pour avoir brisé symboliquement une cruche, (chap 19) annonçant ainsi une catastrophe imminente pour le pays : (parlant au nom de Dieu : «  voici que fais venir vers cette ville et sur toutes les villes tout le malheur dont j’ai parlé contre elle parce qu’ils ont raidi leur nuque pour ne pas écouter ma parole ». Voilà ce qui lui valut d’être arrêté, torturé : il est mis « aux ceps »  cad qu’il a les mains et les pieds liés (voir chap 20, 1-3). Rien ne peut l’empêcher de parler.  Ce serait plus confortable pour lui de se taire, mais il ne peut . Mais la mission que Jérémie a reçue est une tâche de combat : « Je t’établis pour arracher et pour abattre. » Il est destiné à dénoncer un peuple creusant des citernes lézardées qui ne tiennent point l’eau.

 

Face à l’obstination déterminée de ses contemporains Jérémie en arrive à se poser des questions, à douter, «  à quoi bon puisqu’ils refusent ». Ne s’est-il pas trompé ?

« Dans cette confession Jérémie reproche à Dieu d’avoir profité de sa bonne volonté, sa disponibilité. Dans un moment de déprime, il tient des propos aux accents blasphématoires, il  reconnaît qu’il a été séduit par Dieu comme une jeune fille et qu’il ressent amèrement les conséquences de cet amour auquel il a consenti. Il n’imaginait sans doute pas que son engagement l’entraînerait si loin, aurait de telles conséquences. Il connaît la déception, l’échec, la moquerie de la part de ses concitoyens. Il proteste et le dit à Dieu   Mais il doit finalement prendre conscience que sa vocation le dépasse de toute part. Il prophétise depuis plus de vingt ans et il n’est toujours pas écouté. Il le ressent d’autant plus durement que l’amour de Dieu l’a pris au plus intime de son être.

Autant sa passion est grande –elle provoque la moquerie- autant il ressent le refus des gens.

C’est sur fond de dialogue habituel avec Dieu que se déroule ce passage et qu’il en arrive à découvrir ce que le Seigneur attend de lui. Même s’il a eu l’impression que le Seigneur  l’a eu, « il ne peut abandonner le Dieu qui le déçoit… je me suis dit : sur lui faisons l’oubli. Ne parlons plus en son nom. Mais c’est en mon cœur comme un feu dévorant.»

Aucune page de la Bible ne nous révèle avec une telle densité le débat qui peut surgir dans la conscience et le cœur d’un serviteur de Dieu. Jérémie ne se résigne pas à tous les revers de sa vie. « Seul est prophète en vérité l’homme qui a essayé obstinément de résister à Dieu et qui a été plénifié par la défaite qu’il a dû subir’ » A. Neher  dans Jérémie- Seuil

 

Il termine en révélant le secret, le mystère qui habite le prophète tenté de s’arrêter : « il y avait en moi comme un feu dévorant au plus profond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir. »

Dans les moments de crise, ne nous étonnons pas de n’avoir d’autre ressource que de nous tenir en présence du Seigneur pour lui crier ne serait-ce que notre désarroi, notre révolte. Plus la Parole de Dieu nous « séduira » à la manière du prophète, plus nous nous sentirons à contre-courant des valeurs du « monde ».

Que veut dire ce texte pour nous aujourd’hui ? C’est tout le peuple des baptisés qui est prophète à son tour. Le Concile l’a rappelé : citons ces deux courts passages de Lumen Gentium : «  le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ : il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité »12

« Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et la puissance de sa parole a proclamé le royaume du Père, accomplit sa fonction prophétique jusqu’à la pleine manifestation de la gloire, non seulement par la hiérarchie qui enseigne en son nom et avec son pouvoir mais aussi par les laïcs dont il faut pour cela également des témoins en les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole afin que brille dans la vie quotidienne, familiale et sociale, la force de l’Évangile » 35

Le témoignage du chrétien sera dans la ligne des prophètes, c-a-d qu’il ne sera pas dans le sens des idées courantes mais osera poser un regard en conformité avec l’Évangile et à la manière du Christ.

 

Jérémie 20:7-13

7 SEIGNEUR, tu as abusé de ma naïveté, oui, j’ai été bien naïf; avec moi tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. À longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi.

8 Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois appeler au secours et clamer: « Violence, répression!» À cause de la parole du SEIGNEUR, je suis en butte, à longueur de journée, aux outrages et aux sarcasmes.

9 Quand je dis: «Je n’en ferai plus mention, je ne dirai plus la parole en son nom», alors elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant, prisonnier de mon corps; je m’épuise à le contenir, mais n’y arrive pas.

10 J’entends les propos menaçants de la foule – c’est partout l’épouvante: «Dénoncez-le!» – «Oui, nous le dénoncerons!» Tous mes intimes guettent mes défaillances: «Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche.»

11 Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un guerrier redoutable; mes persécuteurs trébucheront et n’arriveront pas à leurs fins. Ils seront couverts de honte – ils ne réussiront pas. Déshonneur à jamais! On ne l’oubliera pas.

12 SEIGNEUR tout-puissant, toi qui examines le juste, qui vois sentiments et pensées, je verrai ta revanche sur eux, car c’est à toi que je remets ma cause.

13 Chantez au SEIGNEUR! Louez le SEIGNEUR! Il délivre la vie des pauvres de la main des malfaiteurs

Le prophète Jérémie à la dictée, Gustave Doré